Cameroun : le gouvernement toujours en dessous de ses engagements dans la filière riz
Les pouvoirs publics multiplient les stratégies, programmes et projets en faveur de la filière, dans laquelle ils injectent des ressources publiques colossales. Mais les résultats restent à la traîne, du fait de résistances structurelles liées à la filière, mais aussi d’options de pilotage sectoriel au moins discutables.
Cela ne vient toujours pas. En 2023, selon le gouvernement, la production nationale de riz paddy (non décortiqué) s’est montée à 407 mille tonnes. En 2022, elle était de 340 mille 157 tonnes selon le rapport 2023 sur la situation et les perspectives économiques, sociales, et financières de la nation pour 2024, et de 364 mille 666 tonnes selon le rapport de suivi de la mise en œuvre de la Stratégie de Développement du Secteur Rural/Plan National d’Investissement Agricole (2020-2030). En 2021, le rapport 2022 sur la situation et les perspectives économiques, sociales, et financières de la nation pour 2023 l’a établie à 352 mille 948 tonnes.
Selon ces rapports, qui sont chaque année annexés à la loi de finances de l’année suivante, la production nationale de riz paddy a connu une évolution en dents de scie depuis le début de la décennie. En 2021, elle a crû de 21,5% en lecture annuelle; en 2022 elle a cédé 3,9% en glissement annuel, avant de reprendre sa marche en avant en 2023, en s’ajustant de 19,7% par rapport à l’année précédente. Une trajectoire erratique, qui contrarie, et c’est le moins que l’on puisse écrire, les plans du gouvernement, qui s’était engagé, en novembre 2020, dans le cadre du Plan de soutien à la production et à la transformation des produits de grande consommation, à reprofiler cet indicateur en lui donnant une courbe continûment haussière, plus pentue et plus vigoureuse.
En raison de sa place dans les habitudes alimentaires des populations, de ses apports nutritionnels et de leurs enjeux de santé, mais aussi en raison de son impact sur la balance commerciale du pays, le riz fait partie des denrées alimentaires aux enjeux sociaux et économiques majeurs pour le Cameroun. Depuis 2020, il fait l’objet de deux des instruments de planification majeurs du gouvernement. Il est au cœur de la politique d’import-substitution (qui constitue l’une des orientations fondamentales de la Stratégie nationale de Développement du pays pour la période 2020-2030, la SND 30) qui est actualisée depuis 2020 par le Plan de soutien sus évoqué. Il est aussi au centre de la Stratégie de Développement du Secteur Rural pour la période 2020-2030 (SDSR 30), déclinaison sectorielle de la SND 30, opérationnalisée depuis le début de la décennie par le Plan National d’Investissement Agricole, le PNIA 30.
385 milliards Fcfa pour développer la filière
Mieux : conformément aux engagements qu’il avait pris dans le cadre de la SND-30 de doter chacune des filières prioritaires de son paquet agro-industriel de plans de développement à moyen et long termes, le gouvernement a fini par adopter, mi-mai 2023, une stratégie de développement de la filière riz. Coût de la stratégie: 385 milliards Fcfa. Résultats attendus : produire et mettre sur les marchés intérieurs du pays, et ce à des prix compétitifs, 750 mille tonnes de riz paddy d’ici 2030 ; réduire à 5%, à la même échéance, la part des importations dans la consommation nationale de riz.
La SDSR 30 s’était fixée les mêmes objectifs, avec comme valeur cible intermédiaire à l’horizon 2025, 450 mille tonnes pour la production de riz paddy, une dépendance de la consommation nationale du riz vis à vis des importations à 20% contre 36% en 2020, un rendement à l’hectare de 5 tonnes contre 2,5 tonnes en 2020, et un objectif de 6 tonnes en 2030.
C’est dans le cadre du Plan de soutien à la production et à la transformation des produits de grande consommation qui actualise sa politique d’import-substitution, que le gouvernement s’est montré plus ambitieux : atteindre une production de riz blanchi de 452 mille 620 tonnes en 2023. Sur la base des données du ministère en charge de l’Agriculture pour les années 2021, 2022, 2023, «Enjeux Economiques» a pu établir que le taux de rendement de la transformation du riz paddy en riz blanchi est, au Cameroun, de 65%. Ce qui veut dire qu’en s’engageant à porter la production de riz blanchi à 452 mille 620 tonnes de riz blanc en 2023, le gouvernement s’était engagé conséquemment à porter celle de riz paddy à 696 mille 338 tonnes. Selon son propre pointage, la production nationale de riz paddy s’est montée à 407 mille tonnes en 2023. Soit un trou de près de 290 mille tonnes par rapport à son engagement.
Malgré les colossaux moyens (voir ci-dessus) mis à disposition par le trésor public en sa faveur depuis 2021 sur la filière riz (2,4 milliards Fcfa engagés et ordonnancés en 2023 sur une dotation globale de 13,3 milliards Fcfa, soit un taux d’exécution financière de 18 % ; 14,7 milliards Fcfa de crédits de paiement prévus pour 2024), le ministère en charge de l’Agriculture n’est parvenu à réaliser que 58% de ses engagements en matière de production de riz en 2023.
Si la production reste obstinément en dessous des attentes du gouvernement, la demande, elle, reste continûment croissante. Selon le gouvernement, 90% des 28,6 millions de personnes que compte le Cameroun, soit 25,74 millions de personnes, consomment du riz. Chacune d’elle consomme en moyenne 25,7 kg de riz par an. Et ces quantités augmentent chaque année de 0,1%.
Sous l’effet combiné de ces deux variables centrifuges, les importations se consolident année après année : 894 486 tonnes de riz importées pour une dépense de 231, 8 milliards Fcfa en 2019 ; 591 597 tonnes pour une dépense de 159,8 milliards Fcfa en 2020 ; 776 601 tonnes soit 207,9 milliards Fcfa de dépenses d’importations en 2021 ; 841 464 tonnes pour une fuite de devises d’un montant équivalent à 264,3 milliards Fcfa en 2022. Ces chiffres, établis et consolidés en septembre 2023 dans le cadre du rapport de suivi de la mise en œuvre de la SDSR 30 et du PNIA 30, révèlent à quel point les rigidités structurelles de la filière restent rebelles à la volonté du gouvernement d’améliorer la production et la productivité des riziculteurs camerounais.
D’autant que le riz camerounais souffre aussi d’un déficit de qualité. En 2021, le Bureau de mise à niveau des entreprises (BMN) camerounaises révélait, dans une étude consacrée au positionnement stratégique de la filière de fabrication des produits à base de céréales, que le riz camerounais comporte des taux d’impuretés et de brisures jugés élevés.
La faute, soutient le gouvernement, aux changements climatiques et ses conséquences. «Cette baisse est imputable aux inondations et à l’invasion d’insectes, enregistrées dans l’Extrême-nord. De plus, le retrait tardif des eaux dans les zones de production de riz a entrainé la réduction des superficies aménagées», écrit-il dans le rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales, et financières de la nation, annexé à la loi de finances du pays de 2023.
Mais un autre phénomène explique cette situation de marché : les exportations massives, en général informelles, du riz camerounais vers les pays limitrophes, en particulier le Nigeria. L’étude du Bureau de mise à niveau des entreprises (BMN) citée plus haut avait aussi révélé que 70% de la production nationale de riz est exportée vers le Nigeria. A l’observation, c’est la configuration même du système camerounais de production de riz qui sert de ressort profond à ces exportations.
Un marché très concentré
Il y a trois ans, les régions du Nord et de l’Extrême-Nord concentraient à elles seules, selon le BMN, 84% des 33 193 hectares (statistiques du gouvernement de novembre 2020) des superficies aménagées pour la production du riz. Conséquence, la production de riz reste très concentrée. En 2018 par exemple, selon les données du ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Minader), les régions de l’Extrême-Nord, du Sud-Ouest, du Nord-Ouest et du Nord avaient produit 446 317 tonnes de riz paddy (riz non décortiqué), soit 93,5% de la production nationale. Problème : ces régions sont géographiquement plus éloignées des grands centres de consommation que sont notamment les villes de Yaoundé et Douala, que des villes nigérianes et tchadiennes dont elles sont limitrophes. Faute d’infrastructures de communication de bonne qualité, les coûts d’expédition de cette production vers les marchés intérieurs n’en sont que plus dissuasifs. Ajoutez-y les problèmes de qualité pointés par l’étude du BMN, et vous comprendrez pourquoi, sur son marché intérieur, son premier marché, le riz camerounais perd en compétitivité face aux importations, et n’en gagne que sur les marchés sous-régionaux, moins éloignés de ses bassins de production et moins exigeants sur la qualité.
En attendant que les programmes d’investissement publics ne règlent la question des infrastructures de communication, le gouvernement a opté pour un recentrage de la production de riz, en mettant en orbite les régions plus au centre du pays (la Ferme pilote de riziculture irriguée de Avangane, le Projet de développement de la riziculture irriguée et pluviale dans les régions du Centre, du Sud, de l’Est, le Nord-ouest et l’Ouest, entre autres). Sauf que du fait de leur désavantage comparatif (notamment en matière de dotation factorielle) par rapport aux quatre bassins de production traditionnels, le gouvernement est contraint d’y surmener sa tirelire en subventions et autres soutiens aux producteurs, pour des résultats qui ne sont pas encore conséquents.
Les riziculteurs asiatiques subventionnés par le Cameroun
Le Cameroun avait pourtant bien commencé. Une décennie après son accession à la souveraineté internationale, la demande nationale de riz était presque totalement couverte par l’offre nationale. En 1975, cette couverture s’est montée, selon les statistiques du ministère en charge de l’Agriculture, à 80%, validant ainsi la politique volontariste du jeune Etat en la matière. Mais quatre décennies d’abandon de la filière dont le point de départ objectif fut la sévère crise économique de la fin des années 1980, en ont détruit les acquis et ruiné la compétitivité interne. Dans le même temps, la population est passée de 7,40 millions d’habitants en 1975 selon la Banque mondiale, à 28,6 millions d’habitants en 2023 selon le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), entraînant avec elle une explosion de la demande de riz.
Sauf que les investissements publics et privés en faveur de la filière n’ont pas suivi la croissance démographique et celle de la demande nationale. Et il y a surtout eu l’année 2008 qui a été particulièrement douloureuse et lourde de conséquences pour la filière. Pour contenir les émeutes de la faim qui menaçaient d’embraser le pays, le gouvernement avait dû démanteler les barrières tarifaires à l’importation du riz (et d’autres biens de grande consommation), subventionnant ainsi les riziculteurs indiens, pakistanais, thaïlandais, qui depuis lors dominent sans partage les marchés camerounais. Depuis 2016, le gouvernement a abandonné cette mesure et rétablit un droit de douane réduit de 5% pour l’importation du riz auquel il renonce d’ailleurs de temps en temps pour garantir la disponibilité de cette denrée de grande consommation sur les marchés camerounais, ce qui rend la relance de la filière nationale encore plus laborieuse.