Cameroun : le gouvernement fond sur les banques pour se financer
A la peine pour mobiliser des prêts concessionnels, l’Etat se tourne massivement vers le système bancaire extérieur (et intérieur dans une moindre mesure) qui lui impose des taux d’intérêts plus élevés et des maturités plus courtes, renchérissant ainsi le service de la dette. Et c’est après le vote du budget au Parlement que la presque totalité de ces emprunts extérieurs sont décidés par ordonnance en cours d’exercice budgétaire.

Le 18 août 2025, le président de la République, Paul Biya, a autorisé le ministre des Finances, Louis Paul Motaze, à recourir, pour les besoins de financement et de trésorerie de l’Etat, à des emprunts intérieurs et extérieurs d’un montant total de 930 milliards Fcfa.
Cette décision du président de la République fait suite, tout en la mettant en application, à l’ordonnance du 11 juillet 2025 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi de finances du Cameroun pour l’exercice 2025.
De ce montant, le ministre des Finances est autorisé à mobiliser 330 milliards Fcfa auprès du système bancaire extérieur. L’opération, totalement nouvelle par rapport aux prévisions budgétaires initiales, illustre et confirme une tendance à l’œuvre depuis au moins trois ans : année après année, le gouvernement se tourne de plus en plus massivement vers le système bancaire extérieur.
Projets de développement
En fait, depuis au moins trois ans, le Cameroun fait face à des soucis de plus de plus importants à mobiliser des ressources concessionnelles, les plus adaptées du reste, pour le financement des projets de développement.
En 2024 par exemple, sur des ressources projetées à 907,2 milliards Fcfa en Loi de Finances initiale (LFI) finalement ramenées à 783,2 milliards Fcfa en Loi de Finances rectificative (LFR), le gouvernement n’a pu mobiliser auprès de ses partenaires financiers que 574,9 milliards Fcfa de prêts projets (dont une partie est concessionnelle), soit un écart de 208,3 milliards Fcfa par rapport aux prévisions de la LFR, et une performance de 73,4%.
Si la loi de finances était restée telle qu’initialement votée et adoptée par le Parlement, les recettes non mobilisées auraient été de 332,3 milliards Fcfa, soit une performance de 63,37%. Pas très éloignée de la performance de l’année 2023 (voir tableau ci-dessous).

Ces contre-performances sur les tirages des prêts-projets s’observent aussi sur les tirages des prêts-programmes, qui sont aussi concessionnels pour une partie, mais qui sont en général fournis sous forme d’appuis budgétaires par les partenaires financiers multilatéraux avec lesquels le pays est sous programme.
En 2023, le gouvernement avait prévu de mobiliser 92 milliards Fcfa au titre des prêts programmes. Selon le Tableau de bord des finances publiques (base ordonnancement), il est parvenu à décaisser 49,6 milliards Fcfa, soit une performance de 53,91%.
De ce point de vue, 2024 a été plus mauvaise. Les ressources levées se sont affichées à 48,6 milliards Fcfa, sur une prévision de 146 milliards Fcfa, soit un écart de 97,4 milliards Fcfa et une performance de 33,28%.
A l’observation, les performances annuelles se sont inscrites sur celles des premiers trimestres des différents exercices depuis 2023. En 2023, la Loi de Finances initiale avait budgétisé des ressources d’un montant de 68,7 milliards Fcfa pour le premier trimestre de l’année. Pas un Fcfa n’a été levé.
Performance nulle aussi l’année d’après, alors que le trésor public attendait 38 milliards Fcfa entre janvier et mars 2024.
1052,4 milliards Fcfa en trois ans
Face à cette contrainte, le gouvernement est un peu contraint, pour garder le sentier de l’émergence actif, de se tourner vers les marchés des capitaux, en particulier le marché bancaire extérieur.
Sauf que comme en 2025, ces recours aux banques extérieures se fait ou se renforce à l’occasion de la modification par ordonnance, en cours d’année, des Lois de Finances initiales.
En 2023, l’exécutif a ainsi décidé, dans le cadre de la Loi de Finances rectificative (LFR), d’emprunter auprès des banques extérieures, 200 milliards Fcfa. A l’époque déjà, l’opération était nouvelle.
En 2024, alors qu’il avait obtenu l’accord du Parlement pour des emprunts bancaires externes d’un montant de 55,4 milliards Fcfa en LFI, l’exécutif a fait passer cette dotation, en LFR, à 522,4 milliards Fcfa, soit une progression de 467 milliards Fcfa en valeur absolue, et de 843% en valeur relative.
En trois exercices budgétaires successifs, le gouvernement a ainsi eu recours, du moins a-t-il été autorisé à recourir aux banques extérieures à hauteur de 1052,4 milliards Fcfa, comme le montre le tableau ci-dessous.
Les autorisations données non par le Parlement, mais par ordonnance du président de la République, se montent à 997 milliards Fcfa, soit 94% du volume total.

La première conséquence de ce basculement progressif des emprunts moins chers, de maturités et de période de grâces plus longues vers des emprunts bancaires extérieurs, se lit dans la progression des intérêts et des commissions payées aux entités financières qui arrangent ces emprunts.
Comme le montre le tableau ci-dessous, entre 2023 et 2025, les prévisions budgétaires affectées à cette dépense courante sont passées, en Loi de Finances initiale, de 313,9 à 378,2 milliards Fcfa.
En Loi de Finances rectificative, elles sont passées de 322,9 à 431 milliards Fcfa, soit une progression de 108,1 milliards Fcfa en valeur absolue et de 33,5%.

Même si leurs maturités restent courtes, les emprunts bancaires contractés actuellement pèseront davantage sur le service de la dette dans les prochaines années. Et cette perspective peut se lire sur les prévisions budgétaires du gouvernement.
Selon le Cadre budgétaire à moyen terme de l’Etat pour la période 2025-2027, l’exécutif a déjà prévu de payer des intérêts et commissions sur la dette intérieure et extérieure de 438 milliards Fcfa pour 2026 et 442,3 milliards Fcfa pour 2027.