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Evocation: comment le Cameroun s’est-il constitué otage du blé importé

Pour comprendre la crise actuelle, ou du moins l’un de ses volets, il faut, comme cela est en général nécessaire, prendre la peine du temps long et remonter le cours de l’histoire. Ne fût-ce que brièvement.

Pour comprendre la crise actuelle, ou du moins l’un de ses volets, il faut, comme cela est en général nécessaire, prendre la peine du temps long et remonter le cours de l’histoire. Ne fût-ce que brièvement.

A l’observation, le pain est la figure quasi-totémique, du moins la figure la plus aboutie de la colonisation des modes de vie et de consommation en Afrique, qu’il objective jusqu’à la caricature.

Avant l’arrivée des colons en Afrique noire et au Cameroun, les populations satisfaisaient leurs besoins alimentaires et nutritionnels grâce aux productions de tubercules et de céréales locales dites indigènes (sorgho, mil, fonio, etc). Avec l’arrivée du pain, les habitudes alimentaires ont progressivement changé, sans que l’avantage nutritionnel du pain sur les denrées alimentaires traditionnelles des populations noires n’ait été définitivement prouvé. Le pain est donc un besoin totalement artificiel créé par la colonisation.

Mais il va connaître une adoption très rapide et massive. Aliment de luxe d’abord réservé à une poignée de catégories sociales à Yaoundé et Douala, le pain a très rapidement changé de statut, pour devenir un aliment de masse. Jugeant son adoption irréversible, les dirigeants n’ont pas su ou voulu freiner sa diffusion dans le corps social. Problème : la production locale de blé, qui sert à sa fabrication, ne peut pas suivre ce rythme d’adoption. Le Cameroun, comme beaucoup de pays africains, doit avoir recours aux importations, qui elles-mêmes atteignent très rapidement, des seuils critiques. La dépendance du pays à l’économie mondiale se renforce. A ses dépendances industrielle et financière s’ajoute cette dépendance alimentaire. A ses dépenses industrielle et financière, s’ajoute cette dépense alimentaire.

«L’évolution des importations de blé exprime de manière globale l’accroissement chiffré de la consommation. Limitées à moins de 10.000 tonnes d’équivalent farine avant 1950, elles passent à 40.000 tonnes à la fin des années soixante et à 70.000 tonnes une décennie plus tard», chiffre une étude de la revue scientifique «Persée» de 1982. En 2020, selon les chiffres du Bureau de mise à niveau des entreprises, ces importations de blé se sont montées à 860 mille tonnes. Le gouvernement s’attendait déjà à ce qu’elles atteignent le cap des 900 mille tonnes. Montant de la facture : 150 milliards Fcfa. Pour mémoire, cette facture était de 5 milliards Fcfa en 1978 selon l’étude de Persée citée ci-dessus.

Lorsqu’en 1975, la Société de Développement de la culture et de la transformation du Blé (Sodéblé) est officiellement lancée, c’est pour limiter ces importations et donner vie à l’ambition des dirigeants camerounais, de transformer le pays en «grenier à blé de l’Afrique centrale». En 1980, la Sodéblé, en faillite, doit fermer ses portes. Depuis lors, le pays affecte toute sa demande de blé aux importations. Une solution commode. Mais qui rend la plus grande injustice à l’agriculture et à l’économie du pays, mais surtout à un peuple de Seigneurs de la terre.

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