Batteries de stockage: l’Afrique cale dans les mines
Malgré une importante dotation factorielle, le continent n’arrive toujours pas à remonter dans les chaînes de valeur mondiales. Ce malgré une croissance de son marché intérieur, lequel épousera, certes avec un léger retard à l’allumage, les tendances mondiales des prochaines années, orientées à la hausse selon les spécialistes.

Malgré une importante dotation factorielle, le continent n’arrive toujours pas à remonter dans les chaînes de valeur mondiales. Ce malgré une croissance de son marché intérieur, lequel épousera, certes avec un léger retard à l’allumage, les tendances mondiales des prochaines années, orientées à la hausse selon les spécialistes.
Selon Rystad Energy, la demande mondiale pour les batteries de stockage devrait exploser et atteindre 9 Terawatts-heures (TWh) par an d’ici 2030, soit 15 fois son niveau de 2021.
Cette demande sera portée, selon le cabinet de recherche dans les énergies, par une décarbonation de plus en plus rapide de l’économie mondiale, poussée notamment par un basculement des préférences des populations pour une consommation éco-responsable, et en particulier pour les services de mobilité propre. Car, selon Rystad Energy, la demande en batteries de véhicules électriques et la demande pour batteries de stockage stationnaires seront, dans le courant de la décennie, les deux principaux vecteurs de la croissance de la demande globale en capacités de batteries de stockage.
Plus spécifiquement, ce sont les constructeurs des véhicules électriques dédiés au transport des personnes qui seront les plus grands demandeurs des capacités en batteries électriques, avec 55% de la demande globale d’ici 2030. La demande pour ces batteries devrait se monter, selon Rystad Energy, à 4,9 TWh en 2030, c’est-à-dire plus de 13 fois supérieure à celle de 2021, qui était alors évaluée par la même source à 373 GWh. Avec une demande de capacités installées de 2,5 TWh en 2030 (contre 139 GWh en 2021), le stockage stationnaire, qui sera critique dans le «grand remplacement» des énergies fossiles par les énergies renouvelables-comme le solaire et l’éolien-deux des technologies les plus matures à ce jour-dans la génération de l’électricité, sera la deuxième force la plus puissante du marché, avec une contribution de 29% à la demande totale. Si, du fait des progrès technologiques, de l’abondance et donc de la baisse tendancielle des coûts des flux physiques qui les sous-tendent (exception désormais faite des combustibles fossiles dont les cours mondiaux s’envolent), l’exploitation de ces technologies dans la génération de l’électricité est devenue financièrement compétitive, celle-ci entraîne pour les opérateurs d’aval, notamment les distributeurs, d’importants coûts supplémentaires de gestion des réseaux, du fait de l’intermittence des énergies primaires qu’elles convertissent. Une des clés essentielles est donc d’équiper les systèmes énergétiques de génération électrique à partir des énergies renouvelables, de grandes capacités de stockage, afin de mitiger ces surcoûts en aval, et garantir la fiabilité du service aux usagers.
Electrification massive
Cette tendance à la hausse du marché est d’ailleurs déjà à l’œuvre, quoi qu’à une amplitude plus faible. En 2021, toujours selon Rystad Energy, la demande mondiale en capacités de stockage était de 580 Gigawatts-heures (GWh), soit plus du double de celle de l’année précédente. Dans l’avenir, l’électrification massive des véhicules commerciaux légers et semis-lourds va tirer la demande et contribuer à environ 1TWh à la demande globale en 2040. L’électrification des camions et gros porteurs, de l’aviation civile et du transport maritime se renforcera, mais la demande induite en batteries de stockage restera marginale par rapport à la demande globale.

Concernant la distribution régionale de la demande mondiale, Rystad Energy prévoit que c’est l’Asie, en particulier la Chine, qui va dominer la demande mondiale à la fin de la décennie. Dans le scénario d’un maintien des températures mondiales à 1,6°C par rapport à l’ère préindustrielle, le marché asiatique devrait atteindre, en 2030, 3,6 TWh, soit 41% de la demande mondiale. Et pour satisfaire sa demande intérieure et une partie de la demande mondiale, la Chine vise à installer sur son sol, la moitié de ces capacités futures. Ses producteurs locaux, CATL, Gotion Hight-Tech et Svolt, multiplient les projets grâce notamment à des contrats d’achat déjà signés avec certains constructeurs mondiaux.
En Amérique du Nord comme en Europe, la demande va elle aussi continuer de croître, selon les projections de Rystad Energy. Elle y sera, respectivement, de 1,7 TWh et de 1,9 TWh en 2030.
L’Afrique verra aussi sa demande en batteries de stockage croître légèrement au cours des très prochaines années. Mais Rystad Energy prévoit que cette demande va littéralement exploser entre 2027 et 2030, passant de 50 GWh à 227 GWh, soit une croissance de 350%. Côté offre, en 2020-2021, les fournisseurs sont parvenus à hisser la production presqu’à la hauteur de la demande. Sur le segment des batteries pour véhicules électriques par exemple, la demande, on l’a vu, était pondérée en 2021 à 373 GWh par Rystad Energy. Mais les capacités déployées sur les routes du monde sont estimées par le Cabinet de recherche et de conseils Adamas Intelligence à 286,2 GWh, soit un déficit de 86,8 GWh.

Mais il n’en ira pas de même au cours des prochaines années, selon Rystad Energy. Car selon Marius Foss, directeur des Systèmes énergétiques chez Ristad Energy, sans investissements massifs dans l’offre globale en batteries de stockage d’énergie et dans l’amélioration de l’efficacité technologique desdites batteries, la demande, portée par l’accélération de la transition énergétique, va très rapidement se distancer de l’offre sur les marchés mondiaux.
Le spécialiste note que sur la base des projets annoncés à travers le monde (Des Giga-usines de production sont ouvertes partout dans le monde, notamment en Europe, comme le montre l’infographie ci-dessous), l’offre de batteries de stockage devrait atteindre les 5,5 TWh d’ici 2030, soit seulement 60% de la demande mondiale attendue.

L’un des moteurs de la croissance de l’offre sur la décennie sera la lutte pour l’autonomie dans l’approvisionnement, qui sera, dans le double contexte de la montée des tensions géopolitiques pour le contrôle des ressources stratégiques et des profondes perturbations des chaînes logistiques internationales, l’un des facteurs-clés du développement des marchés.
Les annonces de projets se multiplient ainsi en Chine, on l’a vu, mais aussi en Amérique du Nord et en Europe, qui ne veulent pas se laisser distancer par Pékin, et en devenir dépendantes à l’avenir. Dans son récent rapport intitulé «How Europe’s Gigafactory boom will transform the Storage market”, la European Research and Consultancy Company annonce que l’Europe va se doter de 35 grandes usines de production de batteries de stockage d’ici 2025. Certains analystes européens estiment les capacités qui seront ainsi installées à plus 664 GWh.
Sur le continent africain, les industriels mondiaux ne se bousculent pas encore, malgré les énormes avantages absolus et comparatifs du continent, mais aussi la volonté des dirigeants africains de capter plus de valeur ajoutée.
Le cas de la République Démocratique du Congo (RDC) est en ce cas emblématique. La RDC détiendrait les plus grandes réserves mondiales de lithium, l’une des ressources minérales indispensables pour la fabrication des batteries de véhicules électriques. Dans le même temps, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), 69% du minerai de cobalt (l’autre composante essentielle de la fabrication des batteries des véhicules électriques, avec le nickel, le graphite) transformé et utilisé dans le monde est extrait du sous-sol de la RDC. Pourtant, le pays ne dispose ni de filière métallurgique, ni de filière industrielle et encore moins de filière technologique sur cette chaîne de valeur.
Acteurs régionaux
En 2021, BloombergNEF estimait, à l’issue d’une étude commandée entre autres par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), la Banque africaine de Développement (BAD) et Afreximbank sur les capacités du continent à se doter d’une chaîne de valeur régionale unifiée dans la mobilité propre, qu’au regard de son potentiel minier et hydro-électrique, la RDC peut devenir un grand producteur des métaux intermédiaires nécessaires à la fabrication des cathodes des batteries lithium-ion. Il faudrait, selon cette étude, 39 millions USD pour installer en RDC une usine d’une capacité de production de 10 mille tonnes métriques de cathode de cette technologie. En comparaison, toujours selon BloombergNEF, la même usine coûterait environ 117 millions USD aux USA, 112 millions USD en Chine, et 65 millions USD en Pologne. De plus, souligne BloombergNEF, même pour l’aval européen (production des cathodes et autres composants en Pologne, assemblage final des batteries électriques en Allemagne), l’installation d’usine de production de ces métaux de fabrication des cathodes des batteries ion-lithium en RDC offrirait des avantages environnementaux et climatiques, avec une réduction des émissions de Gaz à effet de serre de 30% par rapport à l’approvisionnement actuel à partir de l’Asie.

Au cours de l’African Business Forum 2021 qui, à Kinshasa, avait servi de cadre à la publication du rapport d’étude de BloombergNEF, le Président Congolais Félix Tshisekedi avait beaucoup insisté sur la volonté de son pays de capter plus de valeur ajoutée dans cette chaîne de valeur dont la croissance sera météoritique au cours des prochaines années. Selon BloombergNEF, le marché mondial des véhicules électriques va croître de 7 trillions (7 000 milliards) USD entre 2021 et 2030, et de 46 trillions USD entre 2021 et 2050, et va entraîner dans son élan, celui des batteries électriques. Kinshasa a donc entrepris d’assainir son secteur minier, pour le rendre plus attractif. Mais si la filière minière congolaise attire de plus en plus les Majors Players mondiaux, les projets dans les filières aval restent rare. La Chine, premier producteur de batteries électriques dans le monde, est plus préoccupée par l’exploitation et la rentabilisation des capacités qu’elle a installées sur son sol et qu’elle continue d’y installer. Les USA et l’Europe, dont les ambitions climatiques sont importantes, ont aussi entrepris de s’équiper, pour se sortir de leur dépendance vis-à-vis de l’Asie sur ce marché. La remontée de la chaîne de valeur espérée par les autorités congolaises pourrait finalement venir d’acteur régionaux, intéressés par le marché africain, dont l’expansion est annoncée par les spécialistes les plus sérieux de la transition énergétique.