·

Aliko Dangote: the African We Want

Le 22 mars 2022, le président nigérian, Muhammadu Buhari a inauguré, à Lekki, banlieue de Lagos, l’usine de production d’engrais du groupe Dangote. Dans sa catégorie, il s’agit de la plus grande d’Afrique, et la deuxième plus grande du monde. Sous les feux des projecteurs, un homme : Aliko Dangote, 65 ans, Africain le plus riche…

Le 22 mars 2022, le président nigérian, Muhammadu Buhari a inauguré, à Lekki, banlieue de Lagos, l’usine de production d’engrais du groupe Dangote. Dans sa catégorie, il s’agit de la plus grande d’Afrique, et la deuxième plus grande du monde. Sous les feux des projecteurs, un homme : Aliko Dangote, 65 ans, Africain le plus riche depuis des années, Serial Investor après avoir été Serial Entrepreneur, qui multiplie les Mégaprojets dans l’agriculture, l’industrie, l’énergie, les constructions, secteurs-clés de la transformation économique de l’Afrique, au rythme d’un marathonien. Portrait d’un «Game Changer», que d’aucuns n’hésitent plus à comparer, dans le monde économique, à Nelson Mandela.

Lorsque, le 10 avril prochain, il célèbrera son 65ème anniversaire, Aliko Dangote n’aura certainement pas l’esprit à ses mémoires. C’est l’horizon, et l’horizon immédiat, qui garderont captifs son esprit et ses pensées.

Cet horizon immédiat, ce sont les premiers jours de vie de la dernière-née de son impressionnant parc industriel : l’usine de Dangote Fertilizer Limited, inaugurée le 22 mars 2022 à Lagos par le président nigérian Muhammadu Buhari. 2,5 milliards USD d’investissement ; 500 hectares de superficie ; trois millions de tonnes métriques d’engrais à base d’urée et d’ammoniac de production annuelle ; et à l’arrivée, la plus grande usine du genre en Afrique, et la deuxième plus grande dans le monde.

Objectif : satisfaire le marché national dont la demande se monte entre 5 millions et 7 millions de tonnes par an, et continuer d’exporter en Afrique, au Mexique, aux Etats Unis d’Amérique, en Inde et au Brésil.

L’usine de Lekki dispose de deux lignes de production d’une capacité, chacune, de 2200 tonnes d’ammoniac et de 4 000 tonnes d’urée granulé par jour. La première ligne de production a été mise en service au 2ème trimestre de 2021. Plus de 300 mille tonnes d’urée y ont été produites et vendues au 4ème trimestre 2021, principalement sur les marchés d’exportation. C’est le lancement de la deuxième chaîne de production, le 22 mars 2022, qui a servi de prétexte à l’inauguration officielle de l’usine toute entière.

L’installation permettra aussi de dynamiser le marché national du gaz, puisqu’à pleine capacité, elle nécessitera un approvisionnement en gaz de 70 millions de pieds cubes par jour. Quelques semaines avant cette inauguration, le 2 mars 2022, en marge de la 5ème édition du Sommet International de l’énergie du Nigeria, la Holding du milliardaire nigérian a signé un accord de fourniture et d’agrégation de gaz avec la Nigerian National Petroluem Corporation (NNPC, qui détient 20% des actions de la raffinerie de Dangote), Shell, TotalEnergies et Nigerian Agip Oil Company pour la livraison de 70 millions pieds cubes standard de gaz par jour à Dangote Fertilizer Limited.

Chanceux

L’inauguration du 22 mars 2022 ne pouvait pas mieux tomber : les marchés mondiaux d’engrais sont significativement perturbés depuis le début de la guerre en Ukraine. La Russie, qui y livre bataille, est le premier exportateur mondial d’engrais azoté, et le troisième exportateur d’engrais phosphaté. Après l’Algérie qui s’est rapidement retrouvée au centre des attentions mondiales pour ce qui concerne les engrais phosphatés, c’est le Nigeria, qui lui aussi est déjà considéré comme alternative sérieuse aux engrais russes.

Ainsi est fait Dangote : visionnaire, ambitieux, audacieux, accommodant, chanceux : toujours au bon endroit, au bon moment. Ajoutez-y des talents hors normes de diplomate, et vous obtiendrez les ingrédients publics du succès du Nigérian, et les leviers qui l’ont turbo-porté sur le toit de l’Afrique en quelques années. Pourtant, au départ, rien ne laissait présager une telle ascension.

Dangote Cement naît à la fin des années 1970. Au départ, il s’agit d’une simple unité d’ensachage de ciment. Le milliardaire, qui prévoit une croissance continue du BTP et des constructions dans son pays, décide de se lancer dans l’exploitation des immenses ressources du Nigeria en calcaire, intrant nécessaire à la production du clinker puis du ciment. Aujourd’hui leader du marché africain du ciment, Dangote Cement dispose d’une capacité installée de 49 millions de tonnes par an (Mta) à travers l’Afrique, dont 32,3 millions de tonnes pour le seul Nigeria, où le groupe a installé trois unités de production intégrée : Gboko Cement Plant, Obajana Cement Plant et Ibese Cement Plant. Ces installations permettent de satisfaire les besoins nationaux et d’exporter. Ibese en particulier devrait arroser de clinker tous les pays voisins du Nigeria en Afrique du Centre et en Afrique de l’Ouest à partir des terminaux d’exportation installés à Onne, Port Harcourt et Apapa.

Dangote Cement a également installé des unités de production dans une dizaine de pays africains : le Cameroun, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie, la République du Congo, le Ghana, le Sénégal, la Zambie et la Sierra-Léone. Cotée à la bourse de Lagos, Dangote Cement représente aujourd’hui, une part importante de la valorisation de ladite place boursière. Selon des analystes, c’est d’ailleurs la progression d’environ 30% du cours de l’action de l’entreprise au cours des derniers mois qui a largement contribué à l’augmentation des revenus du milliardaire nigérian.

Stéroïdes

Entre temps, Aliko Dangote a réussi à bâtir un conglomérat très diversifié et est parvenu à réaliser une ascension météoritique dopée aux stéroïdes si l’on ose dire, en seulement une dizaine d’années. Avec une diversification de ses activités portée par une stratégie d’intégration verticale par le haut, où le groupe ouvre de nouvelles activités en amont de celles existantes pour permettre à ses filiales de s’approvisionner à des tarifs avantageux auprès d’autres filiales du groupe. Ce qui leur permet d’autonomiser leurs approvisionnements, de réduire les coûts de production et les dépenses d’exploitation notamment pour les unités industrielles, mais aussi d’accroître la taille du conglomérat.

Il y a là une grande raffinerie de pétrole à Lekki, d’une capacité de 650 mille bpj, «la plus grande au monde» selon le Nigérian, qui aidera à mettre un terme à l’une des plus grandes hérésies du Nigeria : être le premier producteur africain de pétrole brute, mais rester l’otage des marchés internationaux pour son approvisionnement en carburants. Coût de la raffinerie : 12 à 14 milliards USD d’investissements ; démarrage des activités: 3ème trimestre 2022 ; capacité de traitement de départ : 540 mille barils par jour, puis une rapide montée en régime qui permettra à l’unité industrielle d’opérer en pleine capacité dès la fin 2022.

Il y a là le complexe pétro-chimique qui comprend aussi une usine de polypropylène d’une capacité de 3,6 millions de tonnes par an et l’usine d’engrais, et qui aura coûté 15 milliards USD d’investissement. Objectif : retenir toute l’activité d’aval et créer des emplois dans le pays ; préserver le Nigeria de la volatilité des cours des produits pétroliers ; ménager les réserves en devises du pays.

Le groupe a également finalisé le plus long gazoduc sous-marin du monde, d’une longueur de 1100 km, qui reliera la région du Delta, principal bassin de production des hydrocarbures du pays, au parc industriel de Lekki, où est installée l’usine de Dangote Fertilizer Limited. Au Nigeria, le gaz naturel extrait des puits de pétrole est tout simplement et paresseusement brulé par torchage, faute d’alternatives. L’infrastructure déployée par Dangote permettra de transporter 3 milliards de m3 de gaz naturel par jour.

Nelson Mandela

Dans l’agro-alimentaire, les principaux pieds à terre de la Holding s’appellent Dangote Flour Mills et Dangote Sugar Refineries. Cette dernière a lancé ses activités en 2000 et contrôlait, en 2021, 81% du marché nigérian. Dans le secteur agricole, le groupe possède de grandes exploitations de riz (Dangote Rice), de cannes à sucre dont la production alimente la raffinerie de sucre. L’usine d’engrais fournira à ces exploitations l’engrais nécessaire pour leur développement.

Le groupe est aussi présent dans la production de sel (Nascon, National Salt Company of Nigeria), l’éducation et la formation avec la Dangote Academy, qui fournit aux jeunes diplômés, notamment ceux des communautés d’accueil des filiales du groupe, des compétences dont le groupe a besoin dans divers domaines.

Il y a enfin, comme tout bon milliardaire qui se respecte, L’Aliko Dangote Foudation qui est très active dans les secteurs de la santé et de la nutrition.

Un véritable empire en somme, qui profite des immenses opportunités que l’Afrique offre et continuera d’offrir dans l’énergie, les infrastructures, l’agriculture, l’industrie, quatre des secteurs les plus essentiels à l’expansion économique du continent. Avec une particularité de taille : seuls les actifs de classe mondiale l’intéressent ; avec une tactique simple : suivre («susciter» persiflent ses comptenteurs qui pointent sa proximité avec des dirigeants politiques du continent) la programmation stratégique de la croissance économique et du développement décidés par les gouvernements africains à commencer par celui de son pays, et s’organiser à profiter des opportunités ouvertes notamment en termes d’allègements fiscaux et administratifs, et même de financement public.

Résultat : Aliko Dangote est, cette année encore, selon Forbes, l’Africain le plus riche, avec une fortune personnelle évaluée à 13,9 milliards USD en 2022-sur la base des capitalisations boursières des entreprises dans lesquelles il possède des parts et des taux de change du 19 janvier 2022, soit une hausse de revenus 10,6% par rapport à 2021.

Exceptionnelle trajectoire que celle du fils de Kano, localité du Nord du Nigéria, formé à l’université égyptienne d’Al-Azhar, ami des plus grands du monde, et dont l’œuvre, au plan économique, commence à être comparée à celle, politique, de Nelson Mandela.

Au surplus, privilège rare à l’échelle d’une vie, sa trajectoire personnelle subsume en quelque sorte l’histoire économique de son pays, et l’ambition économique d’un continent.

Avant l’indépendance en 1960-Aliko Dangote est né trois ans avant, le Nigeria était une véritable puissance agricole. C’est ce secteur qui lui rapportait l’essentiel de ses ressources en devises. Et ces performances dans le secteur agricole ont été maintenues ensuite.

Puis est venue la période du pétrole, imposée par la découverte d’importantes réserves et la flambée des cours mondiaux. Abuja, qui constate qu’il est plus facile de s’enrichir avec le pétrole, y accorde toute son attention et se détourne progressivement de l’agriculture. Ce virage marque aussi un tournant majeur dans le profil socioéconomique du pays. L’avènement des industries extractives-très capitalistiques et peu demandeuses de main d’œuvre en comparaison à l’agriculture- comme moteur de l’économie va immédiatement jeter hors du train de la croissance, des centaines de milliers de Nigérians. Le pétrole vampirise le fragile tissu industriel existant ; le PIB par habitant dévisse ; les inégalités deviennent monstrueuses ; les crises sociales se multiplient. Aliko Dangote estime d’ailleurs aujourd’hui que le Nigeria a commis une grave erreur en préférant l’argent facile du pétrole à l’agriculture. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le penser. Son collègue milliardaire, ami et compatriote Abdul Samad Rabiu pense même qu’avec une agriculture forte, le pays n’aurait même plus besoin du pétrole.

Un Africain debout, à hauteur d’Homme

Aliko Dangote est donc la figure quasi-totémique d’un peuple et au-delà, d’un continent, qui veut s’inventer un autre destin que celui de la pauvreté dont les indicateurs socioéconomiques habitent jalousement le discours public et privé sur l’Afrique dans le monde. L’on comprend dès lors pourquoi beaucoup de gouvernements, à commencer par celui de son pays, lui accordent des facilités jugées exorbitantes par ses adversaires (Au Nigeria par exemple, certaines de ses entreprises bénéficient de droits de douane aménagés pour l’importation de leurs matières premières) pour la prospérité de ses affaires.

Lorsqu’en 2013, les dirigeants africains lançaient l’Agenda 2063 et le baptisaient «The Africa we want» (l’Afrique que nous voulons), c’est sans doute à ce type d’ Africains debouts, à hauteur d’Homme, qu’ils pensaient pour faire advenir cette Afrique que nous voulons.

A lire également