Cameroun: comment l’argent a pris la route du village
Depuis trois ans, les revenus ruraux se sont nettement redressés, avec l’afflux dans les campagnes de plusieurs milliers de milliards de francs CFA, impactant la vie de 14 millions de personnes, débloquant aussi de nouveaux marchés aux produits manufacturiers. Et la tendance, désormais lourde, n’est pas près de s’inverser.

1200 milliards FCFA. Montant des recettes douanières attendues par la loi de Finances rectificative de 2025 ? Un peu moins. Plus exactement : le montant total versé aux producteurs de cacao du Cameroun pendant la seule campagne 2024/2025 selon le gouvernement. Un record absolu.
Dans tous les huit bassins de production, les rémunérations versées aux cacaoculteurs ont été historiques. Dans la Lékié, région du Centre, les producteurs se sont partagés 230 milliards FCFA. Ceux du Sud-Ouest ont reçu 416 milliards FCFA.
Durant la campagne, les prix aux producteurs ont varié entre 3210 FCFA/kg et 5400 FCFA/kg, et la production nationale commercialisée a été comptabilisée par l’Office national du cacao et du café à 309,5 millions de tonnes.
En plus de ces importants revenus issus des ventes de cacao, les producteurs camerounais ont collectivement reçu, pour le compte de la même campagne cacaoyère, 1,7 milliards FCFA de prime de qualité, prime instituée pour promouvoir les meilleures pratiques de production, de séchage et de conservation, et donc pour l’amélioration de la qualité de la fève camerounaise.
Si la campagne 2024/2025 est celle de tous les records, les deux précédentes avaient déjà été bonnes. La campagne 2023/2024 par exemple s’est achevée sur une production nationale commercialisée de 266,7 millions de tonnes de fèves avec un prix payé au producteur oscillant entre 1150 FCFA/kg et 6300 FCFA/kg.
Plus grande rémunération au monde
Lors de la campagne précédente, les prix avaient déjà entamé leur hausse avec une moyenne nationale versée aux producteurs de 1200 FCFA/kg.
C’est dire si, depuis trois ans, des milliers de milliards de FCFA ont été payés aux producteurs camerounais de cacao, qui ont par ailleurs reçu, pour chaque kilogramme de cacao vendu en 2024/2025, des prix oscillant entre 51,44% et 93,94% du prix FOB (Franco à bord) aux portes de sortie du pays, soit, selon les autorités camerounaises, la plus grande rémunération au monde pour les cacaoculteurs.
Si les performances internes de la filière cacao sont autant suivies, c’est parce qu’elles génèrent, sur l’ensemble du secteur rural, un impact massif : les revenus issus de la cacaoculture représenteraient, selon la Banque mondiale, jusqu’à 90% des revenus du monde rural, qui lui-même accueille, selon l’institut national de la Statistique (INS), 46,3% de la population, soit près de 14 millions de personnes.
Cette tendance heureuse dans la filière cacao qui devient massive et lourde d’autant que les cours mondiaux de l’or brun devraient restés hauts selon les prévisionnistes les plus sérieux en raison, entre autres, des mauvaises récoltes annoncées en Côte d’Ivoire, a été renforcée, dans le secteur rural, par un autre facteur plus conjoncturel : la hausse de la productivité et donc de la production dans la culture du coton.
Avec des rendements désormais supérieurs à 1,6 tonne à l’hectare, les plus de 250 mille producteurs (chiffres du gouvernement de 2022) des régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua, ont aussi vu leurs revenus s’améliorer en 2024.
Bonne tenue des cours mondiaux
Selon le ministère en charge de l’Economie (Minepat), en valeur, les exportations de coton se sont chiffrées à 177 milliards FCFA contre 148 milliards FCFA en 2023, soit une hausse de 19,8%.
Plus globalement, l’agriculture industrielle ou d’exportation qui occupe une grande partie des ruraux, s’est bien tenue en 2024, avec une croissance de 9,5% contre 1,1% en 2023, selon le Minepat, en lien notamment avec la bonne tenue des cours mondiaux et des incitations qu’ils opèrent sur les producteurs nationaux.
Bonne tenue aussi dans le secteur vivrier (qui a crû en 2024 de 3,1% contre 1,1% un an plus tôt), soutenu, d’une part, par la vigueur des expéditions sous-régionales, elles-mêmes portées par le renforcement de la connectivité entre le Cameroun et ses voisins (pont sur le Logone à Bongor entre le Cameroun et le Tchad ; route Sangmelima Ouésso entre le Cameroun et le Congo ; pont sur la Cross River entre le Cameroun et le Nigeria).
D’autre part, le secteur vivrier a été aidé par la hausse persistante des prix alimentaires qui ont largement contribué à l’inflation globale dans le pays jusqu’au pic de 2023 (7,4%), et par l’amélioration relative de la connectivité entre les grands centres de consommation et les bassins de production. Selon le gouvernement, 2 070 km de nouvelles routes ont été bitumées depuis 2020, portant le linéaire total de routes bitumées à près de 10 000 km.
Conquête des villages
Résultat des courses : grâce à cette augmentation massive des revenus ruraux, la consommation privée intérieure a continué de dominer les débats en matière d’emplois du Produit intérieur brut (PIB) : 73,9% en 2023 et 73,4% en 2024, soit, pour un PIB nominal estimé par le gouvernement à 31 917 milliards FCFA, une consommation privée de 23 427 milliards FCFA en 2024.
Une opportunité, mais aussi un vrai défi pour le secteur manufacturier national, qui doit maintenant trouver le moyen d’aller à la conquête des villages.