Inflation: Luc Magloire Mbarga Atangana, bouc émissaire idéal
Acculé par l’opinion publique, rudoyé par la presse, esseulé au gouvernement, le ministre du Commerce est devenu la figure sacrificielle et non consentante d’un gouvernement à la peine. Alors, depuis que la rue gronde, et que cette hausse généralisée des prix menace de se transformer en crise politique majeure, il se défend. Quitte à s’y prendre de manière discutable ; quitte à porter des coups de canif la sacro-sainte solidarité gouvernementale.
Acculé par l’opinion publique, rudoyé par la presse, esseulé au gouvernement, le ministre du Commerce est devenu la figure sacrificielle et non consentante d’un gouvernement à la peine. Alors, depuis que la rue gronde, et que cette hausse généralisée des prix menace de se transformer en crise politique majeure, il se défend. Quitte à s’y prendre de manière discutable ; quitte à porter des coups de canif la sacro-sainte solidarité gouvernementale.
C’est finalement seul, que le 30 mars 2022, le ministre du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, a donné une conférence de presse, dans les locaux abritant le département ministériel qu’il dirige. Seul, parce qu’aucun autre membre du gouvernement n’y était présent. Diplomate, son collègue en charge de la Communication, René Emmanuel Sadi, s’était fait représenter par le Secrétaire général de son ministère, Félix Zogo.
[arm_restrict_content plan=”3,2,” type=”show”]Le 10 mars 2022, en exécution d’une instruction du président de la République, une communication gouvernementale au sujet des revendications des enseignants avait mobilisé une demi-dizaine de membres du gouvernement. Dans ce second cas, il s’agissait de présenter les mesures prises par le gouvernement pour satisfaire les revendications-certes fondées mais circonscrites à une corporation-des enseignants. Dans le premier cas, il s’agissait de communiquer sur les réponses du gouvernement face à une hausse des prix qui affecte de manière indifférenciée et disproportionnée le pouvoir d’achat de l’ensemble des consommateurs camerounais, et en particulier celui des «gagne-petit». Et si l’on se souvient que c’est une hausse des prix des biens et services de grande consommation qui, en 2008, avait servi de déclencheur à des émeutes dites «de la faim» dans les principales villes du pays, avec le lourd bilan que l’on sait, on comprend mieux pourquoi l’absence des membres du gouvernement autour de Luc Magloire Mbarga Atangana le 30 mars dernier était remarquable et remarquée.
Déficit de compétitivité
Absence remarquée en effet des ministres en charge de l’Economie ; des Finances ; de l’Agriculture ; des Pêches et des Industries animales ; de l’Energie ; de l’Industrie. Car c’est dans le périmètre de leurs fonctions et des compétences de leurs ministères respectifs que logent les causes profondes de la crise actuelle. Et c’est aussi dans le même périmètre que les réponses économiques et financières structurelles et mêmes conjoncturelles à cette crise doivent être élaborées, articulées, et mises en œuvre.
Or, depuis que les prix montent, et que la tension se cristallise dans le corps social, l’opinion publique a très peu entendu les chefs de ces départements ministériels expliquer chacun en ce qui le concerne, comment il compte extraire le Cameroun de ce piège, à court, moyen et long termes.
Car si le Cameroun a recours aux importations, c’est en grande partie au déficit de compétitivité de son économie qu’il le doit. Hasard de calendrier, le Comité de Compétitivité, placé sous l’autorité du ministre délégué au ministre en charge de l’Economie, faisait, le même 30 mars 2022, le bilan de ses activités pour la période 2019-2021, bilan jugé du reste positif par son secrétariat technique. D’autre part, la Stratégie Nationale de Développement 2020-2030 (SND30) dont le pays s’est doté, a globalement pour but d’améliorer cette compétitivité. Non seulement le gouvernement entend remplacer les importations par la production nationale (import/substitution), mais il ambitionne surtout d’amener l’économie nationale à la conquête des marchés internationaux, à commencer par ceux de l’Afrique centrale et du Nigeria. Mais on en est loin.
Esseulé, sans ligne de défense convaincante et sans offre valable, le moins bien placé mais aussi le plus exposé du gouvernement, est envoyé au chaudron de la communication de crise. Luc Magloire Mbarga Atangana, qui se sait acculé et accusé par des consommateurs en colère, ne peut surtout pas se payer le luxe du silence ou de la dérobade. Alors il y va-et c’est son mérite-avec son courage et ses moyens, y compris les plus discutables.
Vendeurs-spéculateurs
Le 30 mars dernier, il a consacré une bonne partie de son allocution à comparer les taux d’inflation dans le monde, pondérant celui du Cameroun à 2,3% (contre par exemple 48,41 % en Argentine, 16,91 % au Nigéria voisin, 6 % en moyenne aux Etats-Unis d’Amériques). Le propos de ces lignes n’est pas de faire querelle au taux de l’inflation au Cameroun avancé par le membre du gouvernement. Il y aurait pourtant à y faire, tant les limites des instruments statistiques généralement mobilisés pour la mesure des faits et phénomènes démographiques, sociaux, économiques et politiques dans le pays ont été jusqu’ici amplement documentées. Mais au fond, que veut bien dire un taux d’inflation de «seulement 2,3%» à une ménagère des classes populaires de Messassi, à Yaoundé, qui voit, comme le montre le pointage réalisé par «Enjeux Economiques» ce samedi, 2 avril 2022 et retranscrit dans le tableau ci-dessous, les prix de la plupart des biens de grande consommation qui composent son panier, s’envoler depuis le mois de janvier 2022? Comment peut-elle lui donner raison lorsqu’ii assure que le marché camerounais a été protégé d’ «un embrasement généralisé des prix», alors même qu’au quotidien, elle doit faire face à une hausse réelle des prix de tous les biens y compris ceux de l’agriculture (au sens large) et de l’artisanat locaux, et qui est souvent, il est vrai, le fait de vendeurs-spéculateurs qui tiennent à profiter de la situation ?
Comment peut-elle enfin croire à sa vraie fausse idée «des tontines de l’alimentation, de l’habitat, et (…) des greniers familiaux ou communautaires» ? Séduisante en théorie, son implémentation se heurterait à plusieurs défis de taille. L’extrême méfiance vis-à-vis de l’initiative commune qui travaille le corps social n’en étant pas la moindre. Mais au fonds, dans le contexte actuel, le ministre du Commerce peut-il proposer mieux ?
Stratégie de «Push»
On doit à la vérité de reconnaître les efforts fournis par l’ensemble du gouvernement, et notamment les départements ministériels cités plus haut, d’autant d’ailleurs qu’absence de communication ne veut pas forcément dire absence d’action. Reste que, et la réalité de cette crise le prouve, ces efforts ne sont pas encore à la hauteur de la nécessité. L’opinion publique attend surtout de connaître la stratégie de «Push» par laquelle le gouvernement entend transformer cette inflation importée, en opportunités pour la production nationale. Et c’est en quelque sorte le discours implicite du ministre du Commerce : «Le contexte nous impose de nous remettre en cause, en attendant que nous donnions sens au concept salvateur de l’import-substitution instruit par le chef de l’Etat, son excellence Paul Biya. C’est cela en effet la solution de fond, c’est-à-dire produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons» assurait Luc Magloire Mbarga Atangana le 30 mars 2022. Entendez : «Le problème n’est pas au ministère du Commerce. La vraie solution non plus. Regardez ailleurs…»
[armelse] [arm_setup id=”1″ hide_title=”false”] [/arm_restrict_content]