Maïs : mille plans, des centaines de milliards engagés, des résultats (presque) identiques

Depuis plus de dix ans, l’administration publique camerounaise implémente plusieurs stratégie et plans décidés par les autorités politiques, les uns plus couteux que les autres. Pourtant, dans le meilleur des cas, les résultats obtenus sont seulement à mi-chemin des objectifs fixés.

Douze millions de consommateurs en 2021 selon le gouvernement, ce qui en fait la céréale la plus consommée devant le mil/sorgho et le riz ; principale source de revenus de plus de trois millions de petits exploitants camerounais dont près de 80 % sont des femmes selon la même source; une céréale utilisée dans l’alimentation humaine et animale, les industries agro-alimentaires et brassicoles: c’est dire si la filière maïs est une filière à fort impact socio-économique au Cameroun.

Et pour la développer, le pays ne manque pas d’atouts : près de 10 mille hectares de terres propices à la culture de cette spéculation selon le ministère en charge de l’Agriculture (estimations de 2022) ; 15 départements (sur les 58 que compte le pays) offrant de grands bassins de production insuffisamment exploités dans toutes les cinq zones agroécologiques du pays selon la même source ; plusieurs organismes publics d’encadrement, etc.

Après plus de quatre décennies de quasi négligence (comme d’ailleurs l’essentiel des filières végétales, animales et halieutiques), la filière fait l’objet, depuis le milieu de la dernière décennie, d’un regain d’attention et d’intérêt de la part des autorités publiques. Et avec lui, ses performances se sont nettement améliorées.

U renversé

A l’observation, depuis 2011, la courbe de la production nationale de maïs suit une courbe en U renversé. Entre 2011 et 2018, cette production a continûment crû de 1 572 067 tonnes à 2 246 241 tonnes. Le Cameroun exécute alors la Stratégie de développement du secteur rural et le Plan national d’investissement agricole de premières générations (SDSR/PNIA 2014-2018).

Ce sont ces instruments, du reste insuffisamment exploités selon le diagnostic fait par le gouvernement à l’occasion de la revue sectorielle conjointe du secteur rural de juin 2019, qui permettent alors au système productif national de maïs, d’atteindre les résultats intermédiaires et finaux auxquels il est parvenu.

Mais ces résultats restent en retrait des besoins. En 2018 par exemple, alors que la demande potentielle est estimée par le gouvernement à 2 696 351 tonnes, la production nationale va culminer à 2 246 241 tonnes, montrant un gap de 450 110 tonnes. Ajoutez-y les expéditions massives et difficilement évaluables vers les marchés sous-régionaux, vous prenez la pleine mesure du déficit réel entre l’approvisionnement du marché domestique et les besoins nationaux.

Et ce déficit devrait continuer de s’aggraver au cours des prochaines années, du fait d’une demande durablement orientée à la hausse.

Par exemple, le profil de la consommation humaine nationale de maïs est basé sur les hypothèses officielles suivantes : une population dont 90% consomme du maïs ; une consommation moyenne de 50,75kg par personne et par an selon les Bilans Alimentaires du Cameroun produits par le ministère en charge de l’Agriculture ; un taux de croissance démographique annuel de 2,6% selon le ministère en charge de l’Economie qui assure la tutelle du Bureau central des Recensements de la population (Bucrep) ; une population estimée à 30,06 millions d’habitants selon les projections du même Bucrep réalisées à partir des résultats du 3ème (et dernier en date) Recensement général de la population de 2005.

Sur ces bases, la demande nationale de maïs pour l’alimentation humaine continuera de croître. Et avec elle, la demande globale de maïs dont elle est la principale composante, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

Tirant avantage des leçons de la mise en œuvre des instruments de programmation de première génération, les autorités publiques vont donc concevoir plusieurs stratégie et plans.

Six mille milliards FCFA

Ainsi est-il de la Stratégie de développement du secteur rural implémentée à travers le Plan national d’investissement agricole (SDSR/PNIA 2020-2030). Les autorités publiques s’y engagent à porter la production nationale de maïs de 2,1 millions de tonnes en 2019, à 8 millions de tonnes en 2030, en passant par une cible intermédiaire de 4 millions de tonnes en 2025, c’est-à-dire à la fin de la campagne agricole en cours. De même, elles s’engagent à faire passer le rendement dans cette filière de 2 tonnes à l’hectare (t/h) en 2019 à 3 t/h en 2030, en passant par un rendement intermédiaire de 2,5 t/h en 2025. Budget global de la SDSR/PNIA pour la décennie en cours : près de 6 mille milliards (5 919,659 milliards) FCFA.

Ainsi est-il aussi du Plan de soutien à la production et à la transformation des produits de grande consommation mis en œuvre entre 2021 et 2023. Les autorités publiques s’y engagent à faire passer la production nationale de maïs de 3 700 000 tonnes en 2021 à 4 200 000 tonnes en 2023, grâce à un investissement global de 32,3 milliards FCFA. En 2023, le Cameroun a produit 2 180 129 tonnes de maïs selon le Rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation, présenté au Parlement par le gouvernement en 2024. Soit moins de la moitié du volume ciblé par ce Plan de soutien.

Face à cet échec, les autorités publiques décident d’un nouveau plan triennal: le Plan intégré d’Import-substitution agropastoral et halieutique pour la période 2024-2026 (PIISAH 2024-2026). Conscient qu’avec un taux de croissance moyen de la production nationale de riz de seulement 3,9% sur la période 2013-2022, il n’atteindra pas les objectifs de production de la SDSR/PNIA 2020-2030 (4 millions de tonnes en 2025 et 8 millions de tonnes en 2030), le gouvernement s’y engage à développer une politique plus volontariste, plus robuste : vulgarisation des semences à haut rendement ; acquisition et distribution des semences de base certifiées de maïs ; mise à disposition d’engrais subventionnés ; aménagements et équipements des systèmes d’irrigation pour l’approvisionnement en eau des bassins de production; etc. Coût de la manœuvre : 66,3 milliards FCFA. Plus du double de la dotation du premier Plan.

L’échec de ce dernier a été si préoccupant que les responsables politiques vont prendre, dans le cadre du PIISAH des options audacieuses : la supervision générale du PIISAH est retirée au gouvernement et placée sous l’autorité directe du Secrétaire général de la présidence de la République ; les marchés publics pour sa mise en œuvre sont requalifiés en marchés spéciaux conformément aux dispositions de l’article 71 du Code des marchés publics.

Paradoxe

Sauf que paradoxalement, après avoir culminé à 2 246 241 tonnes en 2018 (qui apparaît aujourd’hui comme son maximum), la production nationale de maïs a commencé son reflux. Et en dehors de l’aberration statistique de 2021 où cette production a bondi de 17,5% en lecture annuelle pour se hisser à 2 452 474, elle a gardé une tendance globalement baissière depuis le début de la décennie (voir ci-dessous).

En cause, selon le constat même du gouvernement : une faible accessibilité aux semences améliorées ; l’insuffisance des semences pré-base et de base ; la faible mécanisation de la production ; une production très atomisée ; des pertes en champ et post récolte élevées (10-30%) ; une transformation essentiellement artisanale ; l’enclavement des bassins de production ; la faible organisation des producteurs ; des difficultés d’écoulement de la production ; le coût élevé des engrais et pesticides ; un accès insuffisant aux financements pour les petits producteurs. Et un retournement désormais tendanciel des conditions climatiques. C’est d’ailleurs à cette variation climatique (une rareté des pluies en début de campagne agricole) que l’on doit une grande partie du recul en glissement annuel de 14,4% de la production de 2022.

Ce sont ces contraintes que peinent à lever les politiques publiques en cours de développement par les autorités publiques.

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