Cameroun : l’industrie du bois d’œuvre allume ses réacteurs
Performances récentes de la filière ; orientations et instruments des politiques publiques à l’œuvre ; activités des administrations en charge des Forêts et de l’Industrie ; projets structurants en cours de maturité : tout ce qu’il est utile de savoir avant d’investir dans cette filière longtemps restée enclavée à la première transformation et qui est en plein décollage.

C’est un constat crève-cœur que la Banque mondiale a dû faire en juin 2024, il y a tout juste un an. «Le Cameroun est le plus grand producteur et exportateur de grumes de la région CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ndlr), mais la transformation des grumes en produits finis y est encore faible. En raison de problèmes liés au manque d’infrastructures adaptées, à l’exploitation forestière illégale et aux problèmes de gouvernance et à la corruption, l’industrie forestière camerounaise est limitée aux produits de bois de première transformation, à savoir les bois ronds industriels et le bois scié, qui constituent l’essentiel des exportations de bois», écrivait en effet l’institution internationale de financement du développement.
Avant d’ajouter: «la valeur des exportations des produits issus de la seconde transformation du bois, tels que les moulures et les meubles en bois, était d’environ 6 millions de dollars en 2022. Ce montant est relativement faible par rapport à l’ambition du pays d’augmenter significativement la part des produits finis en bois dans ses exportations».
Ce constat, quelque sévère, mais pas très éloigné de la réalité, masque cependant une dynamique certes peu vigoureuse pour le moment, mais que de puissantes forces motrices devraient transformer, sauf retournement majeur et inattendu, en tendance lourde : le Cameroun ajoute de plus en plus de valeur à son bois d’œuvre.
Pas de côté
En 2021 déjà, selon le gouvernement, la croissance de la branche «autres industries manufacturières» était de 3,7% contre -4,9% en 2020. Ce regain, c’est à la filière «industries du bois sauf fabrication des meubles» qui avait alors crû de +8,2%, que la branche la devait principalement. Dans les «industries du bois sauf fabrication des meubles», la croissance est soutenue par la hausse de la demande du bois débité et des placages, notamment l’Alpilignum pour les industries automobiles dont la production augmente de 24,3%.
«Dans le cadre de la promotion de la première et la deuxième transformation du bois avant exportation, plusieurs actions ont été menées dont la principale est l’organisation du «Marché Intérieur du Bois» (MIB) qui a permis d’accroître de 15,9% les quantités de bois transformées localement» explique le gouvernement dans l’édition 2022 de son Rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières de la nation (RASIPEFIN).
Un an plus tard, en 2022, toujours selon les données officielles, la valeur ajoutée de cette branche était encore tirée par celle de la filière «industries du bois sauf fabrication des meubles» (+10,8%). «La bonne tenue de l’activité dans les «industries du bois sauf fabrication des meubles» est liée à la hausse de la demande du bois débité et des placages», explique l’édition 2023 du RASIPEFIN.
Et même si en 2023 la filière «industries du bois sauf fabrication des meubles» a halté cette progression en s’ajustant de 2,9% seulement après 10,8% un an plus tôt, ce pas de côté-mais toujours dans le sens de la croissance-n’est pas de nature à remettre en cause le mouvement enclenché dans cette filière. Selon le gouvernement, cette halte est même un mal pour un bien : «La décélération observée dans les «industries du bois sauf fabrication des meubles» est liée entre autres à l’augmentation, au courant de l’année 2023, du droit de sortie des grumes à 60%, afin de valoriser la première et la deuxième transformation du bois. Cette mesure a poussé les entreprises à investir dans l’installation de nouvelles scieries», explique-t-il dans le RASIPEFIN 2024.
Robustesse
Quant à la branche «fabrication de meubles, activités de fabrication», en 2023, selon le gouvernement, elle a enregistré une croissance de 3,0% en lecture annuelle, donnant ainsi la preuve de sa robustesse.
«(…) A contrario, l’on observe une décélération de croissance dans la branche «fabrication des meubles, activités de fabrication» (+0,7% après +2,8%), observe le RASIPEFIN 2023. En fait, et selon les données officielles retracées et consolidées par «Enjeux économiques», le taux de croissance de la filière «fabrication de meubles et autres activités de fabrication» a évolué en dents de scies au cours des dernières années, ainsi que le montre le tableau ci-dessous, se hissant d’ailleurs en 2022 à un poids de 7,3% dans la branche «autres industries manufacturières», avant de fléchir à 6% de la même branche en 2023.

Par ailleurs, et selon le RASIPEFIN 2023, même s’ils sont restés soutenus, les investissements dans la fabrication des meubles ont suivi une tendance tout aussi erratique au cours des dernières années: 5% en 2017 ; 4,4% en 2018 ; 3,7% en 2019 ; 1,7% en 2020 ; 2,3% en 2021, avant de rebondir à 8,8% en 2022.
Si la transformation locale du bois d’œuvre progresse, c’est sous l’effet de plusieurs mesures des autorités publiques.
Il y a d’abord l’interdiction d’exportation du bois en grume, consacrée par la loi portant régime des Forêts et de la Faune promulguée le 24 juillet 2024 par le président de la République. Le marché du bois camerounais étant très largement dominé par l’extérieur, les autorités politiques ont entrepris de reprofiler ces exportations, en accordant plus d’espace aux exportations de bois transformé.
Interdiction des exportations de bois en grumes
A la vérité, c’est depuis le milieu des années 1990 que cette orientation de politique publique a été prise par les autorités camerounaises. Sauf que la loi du 20 janvier 1994 portant régime des Forêts, de la Faune et de la Pêche, avait accordé un délai généreux de cinq ans aux producteurs de la filière pour s’arrimer à cette orientation. Ce n’est donc qu’en 1999 que le gouvernement camerounais a commencé à interdire les exportations de bois en grumes, même si celles-ci continuent d’être autorisées sous certaines conditions.
Mais il faut s’attendre à un raidissement des autorités administratives dans l’exécution et même la généralisation de cette mesure au cours des prochaines années.
Le 23 octobre 2024, le président de la République du Cameroun, Paul Biya, a instruit le gouvernement, dans le cadre de la préparation de la loi de Finances de 2025, de poursuivre la mise en œuvre d’une politique douanière incitative à l’industrialisation. S’agissant du sous-secteur Forêt-bois en particulier, la circulaire du chef de l’Etat prescrit au gouvernement, d’«étendre la liste des essences d’exportation interdites sous forme de grume, afin de préparer l’économie à l’entrée en vigueur de la décision d’interdiction de l’exportation du bois en grumes fixée pour 2028 dans la Sous-Région CEMAC». Il y a donc logiquement lieu d’anticiper que le corpus réglementaire et fiscal mis en place par les autorités gouvernantes en faveur de l’industrie du bois sera au moins maintenu, sinon renforcé.
L’un des instruments majeurs que le gouvernement mobilise pour structurer sa politique de développement de l’industrie du bois, c’est la fiscalité. En l’occurrence, il a opté pour un mix fiscal, qui allie droits d’accises à l’importation, taxes à l’exportation et dépenses fiscales.

De manière concrète, la volonté des autorités publiques de limiter les exportations de bois sous forme de grumes s’est traduite d’une part, par un relèvement progressif du droit de sortie du bois en grumes, et d’autre part, par une fiscalité aux portes régressive : plus le bois est transformé localement, moins il est taxé à son export. Ainsi, le droit de sortie des grumes est passé de 17,5% en 2017, à 50% en 2022, puis à 60 % en 2023, et enfin à 75% depuis janvier 2024, à l’exclusion de ceux qui sont admis en points francs industriels qui demeurent soumis au droit de sortie au taux de 60%. Et pour encourager une transformation «plus poussée» du bois, le gouvernement a décidé d’un relèvement des droits de sortie de 10% à 15% sur les bois débités.
Parallèlement à ces mesures fiscales à l’exportation, les autorités gouvernementales ont aussi décidé de freiner les importations des meubles et autres ouvrages en bois, en les soumettant, depuis la loi de Finances de 2024, à un droit d’accise ad valorem de 25%. L’enjeu, là aussi, est important : selon l’Institut national de la Statistique (INS), le Cameroun a importé 4003,2 tonnes de bois et ouvrages en bois en 2023, pour une sortie de devises équivalente à 2,3 milliards FCFA.
Toujours sur le plan fiscal enfin, les dépenses fiscales visant à encourager la transformation locale du bois ont continûment progressé jusqu’en 2019 (1,9 milliards Fcfa en 2016 de même qu’en 2017 ; 3,1 milliards FCFA en 2018 et 6,5 milliards FCFA en 2019) avant que les pouvoirs publics ne décident, dans le cadre du début de la rationalisation globale de ces dépenses publiques, de réduire momentanément la voilure : 2,4 milliards FCFA en 2020 et 3,9 milliards FCFA en 2021, selon les données publiées en juin 2024 par la Banque mondiale.
Mais en 2022, retour volontariste sur le sentier, et même changement d’échelle : selon le Rapport sur les dépenses fiscales de l’exercice 2022 publié par le ministère des Finances, la promotion de la transformation locale du bois aurait coûté au trésor public 13,9 milliards FCFA de dépenses fiscales (soit 2,8% du montant total de ces dépenses), notamment en termes d’exonération de Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA).
Productivité intra-sectorielle
La filière transformation du bois bénéficie aussi des mesures transversales d’accroissement de la compétitivité et en particulier de la productivité intra-sectorielle, notamment par la formation des artisans. Selon le gouvernement, 265 artisans des villes de Dimako, Batouri, Ambam, Sangmélima, Bafoussam, Dschang et Ngaoundéré ont ainsi été formés en 2022 par exemple, portant alors à 2 163 le nombre total d’artisans formés à la transformation du bois dans le cadre d’un programme plus vaste de renforcement des capacités des acteurs de cette filière.
Pour accélérer la cadence, l’administration en charge de l’Industrie travaille à la structuration de deux projets publics majeurs : les Parcs industriels à vocation ZES (Zone économique spéciale) bois d’Edéaet de Bertoua. Le premier vise la mise en place sur le site de l’ex-Cellucam, à Edéa dans le Littoral, des infrastructures de production et de transformation plus poussée du bois, ainsi que des infrastructures annexes de base (routes, électricité, télécommunications). Coût de l’investissement : 150 milliards FCFA. «Au stade actuel, le projet bénéficie d’un niveau d’avancement de 50%, avec comme éléments de maturité :le rapport des études de faisabilité réalisé en 2015 par la SNI (Société nationale d’investissement, ndlr);la signature du contrat de PPP (Partenariat public privé, ndlr) avec la société CAMETAL ;la présence sur le site d’une unité de transformation (SCIEB)», pointait, fin 2023, le ministère en charge de l’Industrie.
Le second, de même pourtour infrastructurel et de même vocation économique que le premier, va coûter, en phase d’investissement, 442,4 milliards FCFA, et bénéficiait, fin 2023, toujours selon la même source, «d’un taux d’avancement de 20%, avec comme éléments de maturité :la mobilisation d’un partenaire technique et financier pour le co-développement ;le rapport des études de préfaisabilité pour le parc industriel de Bertoua ;une DUP (Déclaration d’utilité publique, ndlr) sur 1000 ha, dans l’arrondissement de Mandjou.»
«Au niveau de la filière bois, la création des parcs industriels à vocation zones économiques spécialisées (ZES) pour la transformation du bois à Edéa et Bertoua a été poursuivie en vue de matérialiser la phase opérationnelle de cette filière», confirmait, fin avril 2024, le ministère en charge de l’Economie. Avant de préciser : «A Edéa le site de la défunte Cellucam de près de 80 ha, destiné à accueillir l’un de ces projets fait actuellement objet de démantèlement et de dépollution. Pour ce qui est de Bertoua, 120 ha ont déjà été mobilisés au profit du projet, ainsi qu’une DUP de 1000 ha supplémentaires. Par ailleurs, un partenaire technique en l’occurrence l’Africa Finance Corporation (AFC) a été mobilisé.»
Si le gouvernement cherche à transformer la totalité des bois récoltés, il cherche surtout à modifier la structure de cette industrie : selon le ministère en charge de l’Economie, jusqu’en 2022, les unités de transformation du bois de 1ère catégorie représentaient 55% de l’industrie locale du bois, celles de 2ème catégorie 40% du total, et celles de 3ème catégorie 5% du total. L’ambition du gouvernement est de donner plus d’espace à la deuxième et troisième transformations.
Un environnement normatif et institutionnel qui devrait inciter les opérateurs déjà exploitation dans l’industrie du bois à renforcer leur présence et leurs investissements, et les autres qui n’y sont pas encore à y rentrer.
D’autant que la filière dispose d’un atout de taille : la disponibilité de la matière première. Sept millions de mètres cubes de volume de bois sont collectés dans les concessions forestières actuellement. Et selon le ministre en charge des Forêts, ces récoltes officielles se monteront à 15 millions de mètres cubes par an en moyenne d’ici 2030.