Assistance sociale : contraint par le FMI, le Cameroun réforme son dispositif
Le rééquilibrage entre subventions et transferts directs aux ménages, deux des dimensions les plus importantes de l’agenda du gouvernement en matière d’assistance sociale, devrait apporter plus de justice et d’équité à l’action des pouvoirs publics, et permettre de sortir des ménages supplémentaires de la pauvreté.
Cela relève de plus en plus de l’évidence : le Fonds Monétaire International (FMI) ne lâchera pas le Cameroun, tant qu’il n’aura pas eu «la peau» des subventions aux carburants. Depuis juillet 2021, le pays exécute avec son partenaire technique et financier, un Programme de réformes économiques et financières appuyé par deux véhicules de financement : la Facilité Elargie de Crédit (FEC) et le Mécanisme Elargi de Crédit (MEDC). Viabilité extérieure du pays, croissance forte et inclusive, financements adéquats et politique budgétaire compatible avec la lutte contre l’expansion de la pandémie à coronavirus (COVID-19), la reprise de la croissance économique et la réduction de la pauvreté : un train de réformes à large spectre, monitoré à partir d’un ensemble de critères de performance quantitatifs et de cibles indicatives. A la clé 483 millions de Droits de Tirage Spéciaux (DTS), soit 689,5 millions USD, représentant 175% de la quote-part du pays.
En matière de réduction de la pauvreté, la conviction du FMI a toujours porté sur une redéfinition des priorités du gouvernement en matière d’assistance sociale et, en conséquence, d’un reprofilage de l’allocation budgétaire des programmes qui structurent cette dimension de la protection sociale dans le pays. Au Cameroun, les transferts sociaux, qui donnent corps à l’assistance sociale, se font en général suivant quatre types de mécanismes : les transferts monétaires directs, les subventions ou transferts monétaires indirects, les transferts en nature et les interventions d’urgence humanitaire.
Projet Filets sociaux
Dans le détail, les programmes de transferts en nature sont traditionnellement plus actifs dans les secteurs de l’éducation (cantines scolaires, notamment dans les régions septentrionales, manuels et kits scolaires en zone rurale, etc), de la santé (distribution gratuite des Moustiquaires Imprégnées d’Insecticide à Longue Durée d’Action, entre autres) et de l’agriculture. Depuis le début de la mise en œuvre, en 2021, d’un Plan de soutien à la production et à la transformation des produits de grande consommation pour la période 2021-2023 d’un montant de 183 milliards Fcfa, le gouvernement a musclé sa stratégie de soutien aux agriculteurs, à travers la distribution massive d’intrants (semences, engrais, etc) et la mise à disposition de parcelles aménagées aux agriculteurs.
Les transferts monétaires directs sont essentiellement dominés par le Projet Filets sociaux (PFS), soutenu par les partenaires techniques et Financiers du Cameroun, au premier rang desquels la Banque mondiale et l’Agence Française de Développement (AFD). Le PFS fournit des activités argent-contre-travail et des transferts monétaires inconditionnels aux ménages. La première génération de ces programmes exécutés entre 2013 et 2022 dans 120 communes sur les 360 que compte le Cameroun, a couvert 385 500 ménages sur l’ensemble des dix régions du Cameroun selon le gouvernement (385 000 ménages selon la Banque mondiale qui fixe le démarrage de son comptage à 2015), soit 2,4 millions de personnes environ. Pour mémoire, le Cameroun comptait 27 millions d’habitants en 2022 selon les projections officielles faites sur la base des résultats du Recensement général de la population et de l’Habitat (RGPH) effectué en novembre 2005. Et selon les résultats de la 5ème Enquête Camerounaise Auprès des Ménages (ECAM-5) réalisée par l’Institut national de la Statistique entre 2021 et 2022, de ce total, 37,7% de personnes, soit environ dix millions de personnes, vivaient alors en situation de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 813 FCFA par jour et par personne, seuil national de pauvreté arrêté par les autorités publiques dans le cadre de cette enquête. Sur ces bases, et selon les calculs de «Enjeux Economiques», la population couverte par la première génération des PFS représentait donc 24% (25% selon la Banque mondiale) des pauvres au Cameroun en 2022. Montant total transféré durant cette première période : 80,4 milliards Fcfa selon le gouvernement.
Des subventions régressives
Depuis janvier 2023, le gouvernement implémente un nouveau projet dénommé «Projet Filets Sociaux Adaptatifs et d’Inclusion Economique». Ce projet, plus robuste que le PFS de première génération, a pour objectif «de mettre en place un système de protection sociale plus complet, à même de répondre aux chocs et de promouvoir l’inclusion économique, avec un accent particulier sur les jeunes vulnérables et déplacés» selon le gouvernement. Entre 2023 et 2028 (inclus), il voudra couvrir 356 000 ménages dans 180 communes sur l’ensemble du territoire. Financement global : 146,8 milliards, dont 92,8 milliards par la Banque mondiale et 54 milliards par l’Etat.
Les subventions (directes et indirectes) quant à elles couvrent un grand nombre de biens et services, dont elles garantissent l’accès au plus grand nombre. Il y a là les carburants (essence, diesel, pétrole lampant), l’électricité, le gaz naturel, les services d’éducation (bourses d’études, gratuité des frais scolaires dans le primaire, etc), les soins de santé (chèque santé, gratuité des antirétroviraux, etc), les produits alimentaires importés (farines, blé, maïs frais, riz, poisson congelés, etc), matériels agricoles, entre autres. Dans les faits, ces subventions universelles s’actualisent à travers 16 programmes développés par l’administration publique camerounaise.
Avec un impact social réel mais limité, notamment en raison de la faiblesse de leur ciblage, mais aussi parce qu’une grande partie de la consommation des couches les plus défavorisées, notamment en milieu rural, n’est guère marchande, et en tous les cas, largement informalisée. Dans cet ensemble, les subventions aux carburants se taillent la part du lion, surtout en période d’expansion des cours mondiaux des produits pétroliers. Pour la seule année 2022, elles auraient coûté au trésor public, environ 1000 milliards Fcfa selon le FMI et le gouvernement. Le problème, c’est qu’à la différence du kérosène, qui est surtout utilisé par les ménages les plus pauvres (confirmant ainsi son statut de bien inférieur), l’essence et le gasoil sont des biens normaux, dont la demande progresse avec les revenus. De ce fait, c’est d’abord aux riches, grands utilisateurs de ces deux produits, que ces subventions générales profitent. «D’après les estimations, les ménages du quintile de revenu le plus élevé vivant en milieu urbain perdront 440 000 XAF (770 USD) par an si les subventions aux carburants étaient complètement supprimées. Autrement dit, ce montant représente le niveau d’avantages qu’ils reçoivent actuellement des subventions», soutient la Banque mondiale dans sa dernière revue des finances publiques camerounaises. C’est donc en raison de leur régressivité qu’elles sont autant combattues par le FMI.
Inégalités structurelles
Ce sont elles que l’institution financière internationale demande au Cameroun d’arrêter complètement, pour consacrer les économies budgétaires qui seront ainsi réalisées, à des dépenses d’assistance sociale plus ciblées (comme le Projet Filet Sociaux), et jugées plus justes, plus équitables, et plus efficaces en matières de lutte contre la pauvreté et de réduction et de correction des inégalités structurelles.
Dans le cadre de son Programme avec le FMI, le gouvernement s’était engagé à mettre en œuvre 15 réformes structurelles. En particulier, il s’était obligé, en collaboration avec la Banque mondiale, à élaborer une étude sur «les options de la réforme de la structure des prix du carburant visant à la suppression progressive des subventions aux carburants», et à développer des «mesures ciblées pour protéger les ménages les plus vulnérables». Et ce au plus tard en décembre 2022. Le 23 janvier 2023, selon le gouvernement, un rapport de cette étude menée conjointement par les structures techniques du ministère en charge des Finances (Direction générale du Budget et ex-Commission technique de Réhabilitation des entreprises publiques), la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures (CSPH) et l’Institut national de la Statistique (INS), a été transmis au FMI. Selon le ministère en charge de l’Economie, l’administration s’est ensuite attelée, de concert avec la Banque mondiale, à affiner les mesures d’accompagnement contenues dans ce rapport, en vue de bénéficier du concours de cette institution pour leur mise en œuvre.
Le «Projet Filets Sociaux Adaptatifs et d’Inclusion Economique», à l’œuvre depuis 2023, fait ainsi partie des premiers extrants de ce travail.
Toujours en exécution de ses engagements dans le cadre de cette réforme, le gouvernement a réduit progressivement l’enveloppe des subventions aux carburants (Voir tableau ci-dessus), profitant en partie du reflux des cours mondiaux du pétrole. En conséquence, les prix à la pompe ont connu deux augmentations. La première de 21% en février 2023, la seconde de 15% en février 2024. Dans le cadre de sa programmation budgétaire triennale (2025-2027), le gouvernement avait déjà prévu de constituer, pour l’exercice fiscal 2025, une provision de 80 milliards Fcfa, au titre de la subvention aux carburants, marquant ainsi sa préférence pour une poursuite-jugée «prudente» au ministère en charge des Finances-du régime d’allègement de cette subvention plutôt que sa suppression totale.
Objectif ferme
Mais selon des informations concordantes au sein de l’administration en charge des Finances, la délégation du FMI qui séjourne au Cameroun dans le cadre de la 7ème revue du Programme avec le Cameroun et dont la mission s’achève ce 16 octobre 2024, est arrivée à Yaoundé avec comme objectif ferme d’obtenir du gouvernement que 2024 soit la dernière année de vie des subventions aux carburants, et achever ainsi, l’une des réformes-clés du Programme, dont l’inaboutissement avait déjà conduit-avec d’autres facteurs il est vrai, à une prorogation de douze mois du programme, alors qu’il était censé s’achever en juillet 2024. Ceci, avait alors expliqué le FMI, afin de «laisser plus de temps à la mise en œuvre des politiques et réformes».
Dans le cadre de cette 7ème revue, les deux parties ont eu près de deux semaines pour rapprocher leurs vues sur la question de la suppression totale, dès 2025, de la subvention aux carburants. Et l’on saura, à la lecture du communiqué de fin de mission des services du FMI mais surtout à celle du communiqué du Conseil d’administration Post Revue du Fonds, à quelle décision les deux parties sont finalement parvenues.
L’on mesurera surtout mieux, l’ampleur de la réforme entreprise par le gouvernement en matière d’assistance sociale.