Comment la Côte d’Ivoire fait pour avoir un budget plus de deux fois supérieur à celui du Cameroun
Gravement affaiblie par les crises politiques et sécuritaires majeures qu’elle a traversées pendant près de dix ans, la Côte d’Ivoire a su, en une décennie, reprendre l’avantage sur son concurrent naturel de l’Afrique centrale. Net et même sidérant, cet écart est appelé à se creuser davantage dans les prochaines années.
Le 25 octobre 2023, le gouvernement de Côte d’Ivoire a adopté, en conseil des ministres, son projet de loi de finances pour l’exercice fiscal 2024. Selon ce document qui doit encore être voté par l’Assemblée nationale, le gouvernement prévoit un budget de l’Etat de Côte d’Ivoire pour l’année 2024 de 13 720,7 milliards Fcfa. En hausse de 17,3% par rapport aux 11 694,4% de 2023, mais en léger recul par rapport aux 14 088,5 milliards Fcfa que le gouvernement avait initialement prévus pour l’année 2024 dans sa programmation budgétaire pour la période 2024-2026.
Au Cameroun, aucun détail du projet de loi de Finances de 2024 adopté en conseil de cabinet le 02 novembre 2023 n’a filtré. Tout juste sait-on que conformément à son cadrage budgétaire et économique pour la période 2024-2026, mais surtout conformément aux orientations du président de la République Paul Biya, de nouvelles mesures fiscalo-douanières pour l’année prochaine ont été introduites dans le texte. Le budget 2024 de l’Etat du Cameroun ne devrait cependant pas s’éloigner des 6 472,1 milliards Fcfa prévus par le gouvernement dans son cadrage budgétaire cité plus haut.
Dans cette hypothèse, le budget de l’Etat du Cameroun serait en recul en valeur absolue de 170,4 milliards Fcfa par rapport aux 6 642,5 milliards Fcfa arrêtés par l’ordonnance rectificative de la loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2023 et signée par le président de la République le 02 juin 2023.
Sous cette hypothèse (un budget de l’Etat du Cameroun pour 2024 aux alentours de 6 500 milliards Fcfa) donc, le Cameroun continuerait de creuser son retard budgétaire par rapport à la Côte d’Ivoire. En cette année 2023, cet écart est déjà considérable à 5 051,9 milliards Fcfa. En 2024, le budget de l’Etat de Côte d’Ivoire devrait simplement dépasser le double de celui de l’Etat du Cameroun, comme le montre le tableau ci-dessous. Et toujours selon les cadrages budgétaires des deux pays, le budget de l’Etat de Côte d’Ivoire sera de près de 9 mille milliards Fcfa supérieur à celui de l’Etat du Cameroun en 2026. Pour saisir les ressorts d’une telle avance de la Côte d’Ivoire sur le Cameroun, il convient d’observer l’évolution (passée et projetée) de quelques indicateurs macro-économiques des deux pays.
Le premier agrégat macroéconomique à partir duquel l’Etat conçoit son budget, c’est le Produit Intérieur Brut (PIB), qui désigne, de manière simple, la somme des richesses (biens et services) finales produites par un pays (ou un secteur d’activités, ou une région, etc) au cours d’une période donnée, généralement une année. Ainsi, le budget de l’Etat est une fonction du PIB, et une grande partie des ressources qui financent le budget de l’Etat provient des prélèvements obligatoires (impôts, taxes et cotisations sociales), que l’Etat opère sur la richesse produite, les niveaux de ces prélèvements variant d’un pays à un autre. Et si la Côte d’Ivoire peut doter son Etat d’un budget deux fois supérieur à celui de l’Etat du Cameroun, c’est d’abord et surtout parce que son PIB, c’est-à-dire la totalité des richesses qu’elle créée, est largement supérieur, au PIB du Cameroun depuis plusieurs années. Et même qu’en 2026, il devrait atteindre le double du PIB du Cameroun, comme le montre le graphique ci-dessous. Autant l’écrire de manière simple : en 2026, au plan économique, la Côte d’Ivoire sera deux fois plus puissante que le Cameroun. Pour rappel, la Côte d’Ivoire a connu une première guerre civile entre 2002 et 2005, puis une autre 2010 et 2011, née celle-là de contestations post-électorales.
Différences majeures au niveau du PIB, différences aussi au niveau des prélèvements, et notamment au niveau des prélèvements fiscaux, qui, on l’a vu, constituent une grande partie des revenus de l’Etat.
«(…) les recettes fiscales ont connu une croissance annuelle moyenne de 13,6%, passant de 4 356,1 milliards de FCFA en 2020 à 5 616,7 milliards de FCFA en 2022. Elles sont composées de la fiscalité intérieure (58,2%) et de la fiscalité de porte (41,8%). La pression fiscale est passée de 12,0% en 2020, à 12,8% en 2021 et à 12,9% en 2022» expliquent les autorités ivoiriennes dans leur cadrage budgétaire pour la période 2024-2026. Selon elles, ces recettes fiscales passeraient de 7 410,1 milliards de FCFA en 2024 à 9 531,8 milliards de FCFA en 2026. «La pression fiscale passerait de 14,1% en 2024 à 14,7% en 2025 et à 15,1% en 2026 en raison de l’évolution favorable de la conjoncture économique et des reformes qui seraient mises en œuvre» anticipent-elles.
Différence de revenus fiscaux
Au Cameroun, selon le gouvernement, le niveau de la pression fiscale devrait passer de 12,0% en 2022 à 12,7% en 2023. De plus, prévoit-il dans son cadrage budgétaire pour la période 2024-2026, cette pression fiscale «devrait passer de 12,7% du PIB en 2023 à 13,1% en 2024 dans la perspective d’atteindre la cible de 13,7% du PIB en 2026, grâce à un effort fiscal moyen de 0,3% du PIB qui sera réalisé chaque année».
C’est donc tout logiquement qu’un PIB et une pression fiscale tous les deux en retrait, débouchent sur une différence significative des revenus fiscaux des deux pays, différence qui pourrait atteindre 4 821,6 milliards Fcfa en 2026 en faveur de la Côte d’Ivoire, comme le montre le tableau ci-dessous.
La très large avance budgétaire de la Côte d’Ivoire sur le Cameroun s’explique aussi par les performances des deux pays sur d’autres indicateurs, comme la mobilisation des recettes non fiscales. Là aussi, la Côte d’Ivoire fait la différence. «S’agissant des recettes non fiscales (qui comprennent entres autres les cotisations de sécurité sociale, les dividendes reçus et les recettes de service, ndlr), elles sont passées de 739,9 milliards de FCFA en 2020 à 834,0 milliards de FCFA en 2022, soit une progression moyenne annuelle de 6,2%. En 2023, elles devraient connaitre une hausse pour atteindre un niveau de 877,4 milliards de FCFA» informe le gouvernement ivoirien, qui annonce que ces recettes non fiscales devraient passer de 933,8 milliards de Fcfa en 2024 à 1 079,4 milliards de FCFA en 2026, soit une progression de 7,5%. «Cette hausse s’explique par la bonne évolution attendue des cotisations sociales et des recettes de services» ajoute-t-il.
Au Cameroun, les recettes non fiscales devraient poursuivre leur trajectoire haussière entamée depuis 2021 (173,51 milliards Fcfa), jusqu’en 2026 (350,1 milliards Fcfa). Mais elles resteront largement en retrait des recettes non fiscales que mobilise la Côte d’Ivoire, comme le montre le tableau ci-dessous.
«L’étroitesse de l’assiette fiscale et partant, la faiblesse de la pression fiscale s’explique en grande partie par le poids considérable du secteur informel dans l’économie (environ 30% du PIB pour une contribution fiscale de moins de 5%). Les contraintes de fiscalisation du secteur informel sont liées entre autres à l’incivisme fiscal et au recours aux transactions en espèces réalisées en marge des circuits bancaires» explique le gouvernement camerounais.