Hausse des prix du pétrole : 151,5 milliards Fcfa de plus attendus de la redevance SNH pour 2023

Le gouvernement, qui s’attend à une poursuite, à court terme, du dévissement de la production pétrolière observé depuis quelques années, a bon espoir que l’effet prix continue de compenser l’effet volume, et à ménager ainsi sa trésorerie.

A Yaoundé, au moment où la loi de finances de 2024 est sur le métier, l’on suit l’évolution des marchés mondiaux avec grand intérêt, les revenus pétroliers occupant (encore) un poids important dans les revenus publics et dans le PIB (Produit Intérieur Brut) du pays, ainsi que le montrent les tableaux 1 et 2 ci-dessous réalisés par Enjeux Economiques sur la base des données du ministère en charge des Finances.

Pour l’année 2023 finissante, le gouvernement était parti, dans le cadre de la loi de finances 2023 initiale, sur une production de pétrole brut attendue à 26 millions de barils par jour (mb/j) et sur «un cours du baril à 85,5 dollars (des Etats Unis, ndlr), desquels on enlève 3,5 dollars de décote, pour un prix du baril camerounais à 82,0 dollars». Sous ces hypothèses, le gouvernement avait fixé à 609,7 milliards Fcfa, le montant de la redevance SNH (Société nationale des Hydrocarbures). Quelques mois seulement après le début de l’exercice budgétaire, les tendances des marchés mondiaux vont rendre ces hypothèses caduques, obligeant ainsi le gouvernement, à revoir sa copie.

Le 2 juin 2023, le président de la République signe l’ordonnance modifiant et complétant certaines dispositions de la loi du 27 décembre 2022 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2023. Dans le cadre de cette ordonnance, le gouvernement attend désormais le prix mondial du baril de pétrole à 77,98 USD, suivant ainsi les prévisions largement partagées alors par les analystes. Conséquemment, le baril du brut camerounais, qui subit une décote de 3,5 USD, devrait s’échanger contre 74,48 USD. De plus, le gouvernement anticipe une baisse de la production à 23, 7 millions de barils. Sous ces deux hypothèses, l’ordonnance présidentielle fixe désormais la redevance SNH à 540,5 milliards Fcfa, soit une baisse de 85,5 milliards par rapport aux 626 milliards de la loi de finances initiale.

Avec un baril en hausse constante depuis la fin de ce mois de juin 2023, à production inchangée, le gouvernement est désormais assuré de voir ses revenus croître de manière significative sur cette ligne de recettes. Le budget étant par définition équilibré, il est ainsi assuré de bénéficier d’un wind-fall (ressources issues d’un effet d’aubaine) conséquent. En 2022, il en avait déjà bénéficié, pour un montant de 54 milliards Fcfa, non pris en compte dans la loi de finances initiale, mais finalement intégré dans l’ordonnance rectificative.

Le gouvernement, qui s’attend à une poursuite, à court terme, du dévissement de la production pétrolière observé depuis quelques années (23,7 millions de barils en 2023 ; 22, 1 millions de barils en 2024 et 24,5 millions de barils en 2025), a donc bon espoir que l’effet prix continue de compenser l’effet volume, et lui maintienne cette manne dont il a grand besoin, au moment où ses besoins de financement du développement ne cessent de croître.

D’environ 75 USD à fin juin 2023, le baril de brut devrait s’échanger à 120 USD à décembre 2023, soit, sur le dernier semestre de l’année, un prix moyen, calculé par Enjeux Economiques sur la base des données de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) et des projections de JP Morgan, de 98,86 USD. Décoté de 3,5 USD, le baril camerounais se vendrait finalement à 95,36 USD. C’est à dire de 28,88 USD supérieur à l’hypothèse de 74,48 USD retenu dans la loi de finances révisée de 2023. Par calcul, et toutes choses étant par ailleurs égales (et notamment la production nationale de brut, révisée à 23,7 millions de barils pour 2023 comme on l’a vu plus haut), la redevance SNH se monterait donc à 692,02 milliards Fcfa, soit 151,5 milliards Fcfa de plus que les 540,5 milliards Fcfa retenus dans l’ordonnance rectificative du 2 juin 2023 sur cette ligne de recettes. Un wind-fall conséquent donc, qui devrait aider à apporter un peu d’oxygène à une trésorerie publique sous tension permanente. Vectrice d’aménités positives donc, cette vague haussière des cours de l’or noir n’en est pas moins annonciatrice de houles préoccupantes et même crisogènes pour les finances publiques.

Dans cette seconde catégorie, il y a d’abord l’inflation. Début juin 2023 le gouvernement la pondérait, en moyenne annuelle, à 5,9% ; un mois plutôt, en mai, elle était, assure l’Institut national de la Statistique (INS), à 7,5%. Très au-dessus, dans tous les cas, de 3%, cible que le gouvernement s’était engagé à atteindre dans le cadre de la loi de finances 2023 initiale (après les 6,3% de 2022 et les 2,3% de 2021 selon l’INS), et cible communautaire que les Etats de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique centrale) s’étaient engagés à respecter dans le cadre du dispositif de surveillance multilatérale. La hausse des cours du brut va inévitablement conduire à la hausse des prix des produits pétroliers que le Cameroun importe en totalité depuis l’arrêt d’activités de son unique raffinerie suite à l’incendie qui, le 31 mai 2019, a ravagé une partie de ses équipements. Si l’on y ajoute le plan de démantèlement progressif de la subvention aux carburants arrêté par le gouvernement et qui a conduit, le 1er février 2023, à un premier relèvement des prix à la pompe, l’on songe bien que ces chiffres de l’inflation seront très rapidement pulvérisés, et que ce n’est pas demain la veille pour un retour de cet indicateur dans les clous communautaires.

Arithmétique financière

Yaoundé peut-il laisser filer l’inflation ? «En l’état, il est difficile de faire machine arrière, compte tenu de la situation des finances publiques mais aussi de nos engagements vis-à-vis de nos partenaires extérieurs (le Cameroun exécute un Programme de réformes économiques et financières conclut avec le Fonds Monétaire International depuis 2021, ndlr), sur le plan de réduction progressive de la subvention aux carburants. Mais le trésor public risque d’être sollicité encore plus pour atténuer les effets de l’inflation, si celle-ci continue de progresser, et protéger ainsi le pouvoir d’achat des populations, surtout les couches les plus vulnérables», répond, sibyllin, un cadre du ministère des Finances. Dans les faits, à cet égard, le gouvernement a par exemple décidé, dans le cadre de l’ordonnance du 2 juin 2023, d’un relèvement de 4,5 milliards Fcfa de la subvention au titre du projet filets sociaux. Dans sa circulaire relative à la préparation de la loi de finances de 2024, le chef de l’Etat a déjà instruit le même gouvernement, de «poursuivre le renforcement du projet Filets sociaux à travers l’élargissement du champ de ses bénéficiaires et la diversification du type d’appuis directs offerts (monétaire/en nature)».

Il y a enfin, les menaces de ralentissement de l’activité mondiale, que charrie la tendance haussière des cours de l’or noir. JP Morgan a prévenu : si ses prévisions en la matière venaient à s’actualiser, «l’économie mondiale ralentirait jusqu’à un presqu’arrêt». Pour le Cameroun, cela signifierait moins de recettes à l’exportation, moins d’activité, et moins de recettes fiscales pour ses finances publiques.

Des études économétriques préciseront sans doute l’ordre de grandeur de ces impacts positifs et négatifs, mais pas sûre, in fine, que l’arithmétique financière de cette conjoncture mondiale du pétrole soit favorable au trésor public camerounais.

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