Electricité: des taux d’accès toujours insuffisants
Malgré son potentiel et ses ambitions, l’Afrique continue de truster le bas des classements mondiaux en matière d’accès à l’électricité. Et la Covid-19 n’a pas amélioré la situation, loin s’en faut. Pourtant, l’accès universel à des services d’électricité fiables, financièrement abordables, durables et efficaces constitue la première marche du long voyage du continent vers l’industrialisation.
Malgré son potentiel et ses ambitions, l’Afrique continue de truster le bas des classements mondiaux en matière d’accès à l’électricité. Et la Covid-19 n’a pas amélioré la situation, loin s’en faut. Pourtant, l’accès universel à des services d’électricité fiables, financièrement abordables, durables et efficaces constitue la première marche du long voyage du continent vers l’industrialisation.
Une tentative de définition, pour commencer. L’accès, universellement utilisé comme mesure-phare de la performance du secteur de l’électricité, est définie par l’Association des Sociétés d’Electricité d’Afrique (ASEA), comme «le pourcentage de raccordements électriques des ménages (ruraux et urbains) dans une région ou un ensemble d’établissements donnés». Dans ses enquêtes, l’Afrobaromètre le définit pour sa part comme le pourcentage de ménages raccordés au réseau électrique. Si elles ont le mérite d’expliciter la notion, ces deux définitions ne prennent pas en compte la multiplicité des sources d’approvisionnement en électricité. A cet égard, la définition adoptée par la Banque mondiale dans les différentes éditions de ses «Word Development Indicators», paraît moins restrictive : selon la banque, l’accès à l’électricité désigne «le pourcentage d’individus ayant l’électricité dans leurs habitations, quelle que soit la source (réseau, mini-réseau, solution autonome, ndlr)».
Mais quelque soit la définition que l’on retient, les performances de l’Afrique mesurées à travers cet indicateur, restent globalement insuffisantes (dans ce dossier, l’option retenue est de proposer, pour les mêmes variables d’intérêt, le maximum de sources pertinentes possible, de sorte à permettre au lecteur d’avoir la vue la plus large possible sur le stock d’informations fiables et disponibles sur ces variables). Publiée en juin 2021, l’édition 2021 du «Tracking SDG 7: The Energy Progress Report» est loin d’être rassurante pour l’Afrique à cet égard. Rédigé conjointement et annuellement par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) ; l’Agence Internationale des Energies Renouvelables (AIEN) ; la Division des Statistiques de l’Organisation des Nations Unies ; le Groupe de la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ce rapport mesure année après année, les progrès réalisés dans le monde en matière d’accès à l’électricité, pour aider les dirigeants publics nationaux et internationaux à atteindre les cibles de l’Objectif de Développement Durable (ODD) 7, qui vise à garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et renouvelables à un coût abordable grâce aux énergies renouvelables et propres.
Selon l’édition 2021 de ce rapport, la part de la population mondiale ayant accès à l’électricité a crû de 83% en 2010 à 90% en 2019 : 1,1 milliard de personnes à travers le monde ont ainsi pu avoir accès à l’électricité dans cette période. En particulier, selon le même rapport, 130 millions de personnes en moyenne ont pu avoir accès à l’électricité entre 2017 et 2019, alors que cette moyenne s’était établie à 127 millions durant les précédentes années de la décennie.
L’Afrique en retrait par rapport au reste du monde
Mais ces progrès globaux masquent d’importantes disparités dans les performances régionales, notamment dans le monde en développement. En Amérique latine et dans les Caraïbes, de même qu’en Asie du Sud Est, 98% de la population a accès à l’électricité selon le rapport qui s’appuie sur les données consolidées en 2019 lesquelles sont les dernières à être disponibles à ce jour. Cet indicateur recule légèrement à 95% de la population en Asie centrale et en Asie du Sud, avant de s’établir à 94% de la population en Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord.
En Afrique subsaharienne, la part de la population qui avait accès à l’électricité en 2019 s’élevait, selon ce rapport, à 46%. «570 millions de personnes continuent d’être privées d’accès à l’électricité dans la région», ajoute l’édition 2021 du «Tracking SDG 7: The Energy Progress Report», qui précise que la région abrite ainsi les ¾ de la population mondiale qui n’a toujours pas accès à l’électricité, évaluée à 759 millions de personnes.
Selon la même source, 15 des 20 pays ayant les plus grands déficits en matière d’accès à l’électricité sont africains, et les pays du Top trois de ce classement sont tous africains : Le Nigeria, avec 90 millions d’habitants sans accès à l’électricité ; la République Démocratique du Congo (RDC) avec 70 millions d’habitants privés d’électricité ; et l’Ethiopie (qui prend ainsi la place de l’Inde), avec 58 millions de ses habitants sans énergie électrique (Voir infographie ci-dessous).
Ces chiffres ne sont pas bien éloignés de ceux d’autres sources toutes aussi pertinentes. Dans l’édition 2021 de ses «Revues annuelles sur l’efficacité du Développement», la Banque africaine de Développement (BAD) assure que «la proportion de la population africaine ayant accès à l’électricité a très peu augmenté depuis 2017, et elle s’est stabilisée en 2020 à 54%».
Un an plus tôt, elle estimait déjà que le taux d’accès à l’électricité sur le continent est passé de 42% en 2015 à 54% en 2019. «(…) en raison de la croissance rapide de sa population, l’accès à l’électricité en Afrique reste faible, en particulier dans les pays FAD (Fonds Africain de Développement, ndlr) (37%) et les pays en transition (29%). L’Afrique abrite plus des deux tiers de la population mondiale vivant sans électricité et l’analyse montre que, compte tenu de l’évolution actuelle, ce taux passera à 90% en 2030», écrivait précisément la banque.
Dans une tribune commune publiée mi-juin 2021, le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’Energie, Fatih Birol, et le vice-Président exécutif de la Commission de l’Union Européenne, Frans Timmermans, estiment que 600 mille des près de 800 mille personnes privées d’un accès à l’électricité dans le monde vivent en Afrique. «En dépit des énormes ressources du continent en matière énergétique, l’accès aux services énergétiques modernes y est limité. 600 millions de personnes (soit jusqu’à 46% de la population du continent) n’ont pas accès à l’électricité», se désole pour sa part l’ «African Energy Chamber» dans l’édition 2021 de ses «Perspectives de l’énergie en Afrique».
Disparités sous-régionales
Enfin, les économistes Moussa P. Blimpo et Malcolm Cosgrove-Davies estimaient dans une étude intitulée «Accès à l’électricité en Afrique subsaharienne : Adoption, fiabilité et facteurs complémentaires d’impact économique», publiée en 2020 dans le cadre de la collection «L’Afrique en développement» mise en place en 2009 par le Groupe de la Banque Mondiale et l’Agence Française de Développement (AFD), que ce taux d’accès, en Afrique subsaharienne, est de «43 %, «nettement en dessous de celui de régions comparables (ainsi qu’au taux d’accès mondial de 87 %)», mais surtout en retrait, selon les mêmes, des performances que les niveaux de revenus et de la superficie couverte par le réseau électrique dans la région auraient pu autoriser.
«Bien que l’accès ait lentement progressé, seuls 42,8 % de la population avait accès à l’électricité en Afrique en 2016, nettement moins que dans toutes les autres régions en développement. Plus de 600 millions de personnes vivent sans électricité en Afrique, dont plus de 80 % des habitants des zones rurales» ajoutent les deux économistes.
Dans les zones rurales justement, qui malgré une urbanisation accélérée (Selon la Banque mondiale, la part de la population urbaine dans la population totale qui était de 38 % en 2015 soit 472 millions de personnes, devrait passer à un milliard de personnes, soit la moitié de la population de la région en 2040) continuent d’abriter 667,4 millions de personnes, soit environ 59% de la population, le taux d’accès à l’électricité est encore plus faible, à 25 %, selon l’édition 2021 du «Tracking SDG 7: The Energy Progress Report».
Mais la photographie de l’accès à l’énergie sur le continent n’est pas uniforme. Car là aussi, de grandes disparités existent. Comme l’indique le «Tracking SDG 7: The Energy Progress Report» 2021, l’Afrique du Nord présente un taux d’accès de l’ordre de 94%. L’African Energy Chamber pondère quant à elle ce taux à 99%. Selon cette dernière source, le taux d’accès à l’électricité en 2018 était de 52% en Afrique de l’Ouest, 48% en Afrique Australe, 37% en Afrique de l’Est et 27% en Afrique centrale. «En fin 2019, le taux d’électrification dans plusieurs pays africains comme le Tchad, le Burundi, le Liberia, le Niger, la République Démocratique du Congo et le Malawi oscillait entre 10 et 20%», ajoute la même source.
Par ailleurs, toujours en retenant la définition de l’accès à l’électricité de la Banque mondiale, un autre constat se dégage au regard des données disponibles : l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne continue d’être largement dominé par les réseaux centralisés. Selon le «Tracking SDG 7: The Energy Progress Report 2021», 43% du total des connexions sont alimentées par les réseaux ; 31% par les mini-réseaux, et le reste, soit 26%, par des solutions autonomes de génération de l’électricité. En comparaison, toujours selon la même source, plus de la moitié des connexions dans les pays en développement de l’Asie se font à partir des réseaux centralisés, les mini-réseaux et les solutions autonomes se partageant équitablement l’autre moitié.