Financement du terrorisme : le contre la montre du Cameroun pour éviter d’être exclu du système financier international
Le président de la République du Cameroun a signé le 30 octobre 2023, un décret portant création du Comité de Coordination des politiques nationales de lutte contre le financement du terrorisme, entre autres. Une instance à laquelle il incombe désormais d’impulser les réformes qui éviteront au Cameroun, dans huit mois, d’être placé dans la «liste noire» du GAFI. Chronique de 15 ans de gestion lacunaire d’un dossier dont les conséquences se feraient ressentir jusqu’aux confins de l’Afrique centrale.
Tout s’accélère en 2021. Le 19 janvier, le Cameroun, qui est membre du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale (Gabac), une institution spécialisée de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), valide son évaluation nationale des risques (ENR), lancée en 2018. Il s’agit d’une auto-évaluation que les pays suivis doivent réaliser sur leurs dispositifs internes de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
«Les infractions qui génèrent d’énormes revenus illicites sont la fraude fiscale et douanière, la corruption, le détournement de deniers publics, la banqueroute frauduleuse, les crimes sur les marchés publics, la concussion, les trafics des produits fauniques et ligneux, la cybercriminalité, le faux monnayage, l’escroquerie, le faux en écriture de commerce, la prise d’intérêt dans un acte, le proxénétisme, le trafic de stupéfiants, le trafic de devises, le trafic d’objets d’art, le trafic d’êtres humains, ou encore la tromperie envers associés, etc», écrivent les évaluateurs camerounais. Qui poursuivent : «toutes ces infractions génèrent des ressources qui sont recyclées notamment dans : des investissements dans le secteur immobilier, le déplacement des fonds vers des paradis fiscaux, les transferts de fonds dans les comptes bancaires à l’étranger, l’achat de biens de valeurs (objets d’art, automobiles, bijoux) et de devises étrangères, les prises de participations dans le capital de grandes sociétés, les investissements dans les domaines industriels, agricoles ou dans l’élevage».
La faute, selon les évaluateurs, à l’absence d’un dispositif national de lutte unifié, organisé et coordonné. Des recommandations sont de nouveau formulées. De nouveau, parce que ce n’est pas la première fois que ces constats sont faits. Le Cameroun est en effet dans le viseur du Groupe d’action financière (GAFI, fondé par le G7 pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive) depuis la fin des années 2000. C’est en effet sur la base de la méthodologie du GAFI que la Banque mondiale procède à une première évaluation du système financier camerounais en 2008. Les résultats de l’évaluation mutuelle, rendus publics en 2010, sont si graves que le GAFI place le Cameroun sous le régime du suivi régulier, exigeant du pays la présentation d’un rapport annuel. Grâce à ses premières réformes, le Cameroun sort du processus de suivi en mars 2018 pour se préparer à l’évaluation au titre du deuxième cycle de son dispositif de LBC/FT. Entre temps, le GAFI a cédé au Gabac, qu’il a admis comme Organisme régional de type GAFI (ORTG) en 2015, le suivi de la mise en œuvre de ses recommandations.
413,7 milliards Fcfa de flux financiers illicites répertoriés en 2018
Le 23 février 2021, une équipe d’évaluateurs du Gabac arrive à Yaoundé pour une évaluation sur place de l’ENR validé par les autorités camerounaises le 19 janvier de la même année. Sa mission : analyser le niveau de conformité aux quarante recommandations du GAFI et l’efficacité du dispositif de LBC/FT du Cameroun. A la fin de leur mission, le 13 mars 2021, les évaluateurs du Gabac confirment, renforcent et complètent les graves constations de l’ENR camerounaise. «Selon les différents rapports d’activités de l’ANIF (l’Agence nationale d’investigation financière, ndlr), les infractions sous-jacentes les plus courantes sont répertoriées en fonction des flux financiers détectées. Il s’agit du détournement de deniers publics (13,68%), de la corruption (3,56%), spamming (0,01%), faux et usage de faux (0,35%), escroquerie (0,40%), financement du terrorisme (1,71%), fraudes diverses (15,71%) et ces flux financiers s’élevaient en 2018 à quatre cent treize milliards six cent quatre-vingt-dix-sept millions sept cent vingt-huit mille six cent soixante-dix-sept (413 697 728 677) FCFA», évaluent-ils par exemple. Pour les évaluateurs du Gabac, «la menace de financement du terrorisme est caractérisée par la proximité du Cameroun avec certains pays où prévaut le terrorisme occasionné par l’extrémisme religieux et l’activisme des groupes ou bandes armées, mais aussi au plan interne avec les velléités de groupes sécessionnistes actifs dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest». «L’absence d’un cadre juridique complet, notamment pour la mise en œuvre des sanctions financières ciblées, la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEMAC conjuguée avec le faible contrôle aux frontières notamment dans les zones de l’Ouest et du Nord-ouest et l’existence des points de recrutement de terroristes sont autant de facteurs qui augmentent cette menace» ajoutent-ils, explicatifs.
Le Rapport d’évaluation mutuelle qui sanctionne leur mission conclut, en somme, qu’au regard de son poids économique et financier dans la sous-région, le Cameroun constitue une menace pour l’équilibre du système financier international. Il formule conséquemment des recommandations dites prioritaires en vue de renforcer dans l’urgence, le dispositif LBC/FT du Cameroun.
Le 21 octobre 2021, la 15ème session plénière de la Commission Technique du Gabac adopte ce rapport à Douala. A compter de cette date, les autorités camerounaises ont un an, dans le cadre d’une période d’observation, pour mettre en œuvre les recommandations formulées et corriger les défaillances stratégiques, réglementaires et opérationnelles relevées. Douze mois plus tard, au moment de l’évaluation, aucun progrès significatif n’est constaté.
Le Cameroun sur «liste grise» avec la Croatie et l’Uruguay
Lors de sa deuxième réunion plénière tenue à Paris en France du 21 au 23 juin 2023, le GAFI décide, conformément à ses usages, de placer le Cameroun sur sa «liste grise», tout comme la Croatie et l’Uruguay. Le Cameroun est, dans le même temps, placé sous l’examen du Groupe d’examen et de la Coopération internationale (GECI) du GAFI. Le GECI est l’organe du GAFI chargé de l’identification et de l’examen en continue des juridictions ou pays qui ont des défaillances stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, de financement du terrorisme et de financement de la prolifération des armes de destruction massive, et qui présentent un risque pour le système financier international.
«L’inscription du Cameroun sur la liste grise traduit en réalité un engagement public et écrit, pris par les plus hautes autorités camerounaises, de résoudre rapidement les défaillances stratégiques identifiées dans un délai maximum d’un an, par la mise en œuvre du plan d’actions conjointement élaboré. Faute de quoi, le GAFI pourrait appeler à la mise en œuvre des contre-mesures pour protéger le système financier (international, ndlr) contre le pays et l’inscrire sur la «liste noire» », mettait en garde, fin, août dernier, Serge Martin Essebe Njone, le chef du service de la Monnaie à la Direction générale du Trésor, de la Coopération financière et monétaire (DGTCFM) du Cameroun, dans le magazine institutionnel de la DGTCFM.
Liste noire
Et selon ce responsable, une inscription sur la «liste noire» du GAFI entrainerait «la rupture des relations de correspondance bancaire appelées «di-risking» ou processus d’élimination du risque, en raison des forts soupçons sur l’intégrité du système financier camerounais. Ceci pourrait geler nos opérations de commerce extérieur et asphyxier l’économie nationale, voire sous-régionale ; la dégradation de la notation du pays, la fuite des investissements directs étrangers et le renchérissement du coût des emprunts et des transferts». Une exclusion, dans les faits, du système financier international.
«Heureusement que nous ne sommes pas encore là et qu’il suffit tout simplement de mettre en œuvre dans les délais impartis le plan d’action conjointement adopté à l’issue de la période d’observation. Et ceci est tout à fait à notre portée.» assurait le Directeur général du Trésor, Sylvester Moh Tangongho, dans l’éditorial du magazine cité plus haut.
Sauf qu’il a fallu quatre mois, à compter de l’inscription du Cameroun sur la «liste grise» du GAFI, pour que le décret portant création, organisation et fonctionnement du Comité de Coordination des politiques nationales de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive soit signé par le chef de l’Etat. Il faudra encore attendre pour que ses membres soient désignés par les différentes administrations représentées et sa composition constatée par le ministre des Finances. En tout état de cause, la mise sur pied de cet organe ne constitue qu’une des 19 mesures prioritaires prescrites par le Rapport d’évaluation mutuelle à l’origine des sanctions en cours.