Gouvernance : oubliées, les SCD compromettent les performances du gouvernement
Une attention faible et une main molle de la part des autorités politiques ; des administrations centrales peu intéressées à implémenter la réforme liée aux Sociétés Coopératives de Développement, et c’est toute la politique agricole et la stratégie de développement rural du pays qui s’en trouvent durablement hypothéquées.

Les Exploitations Agricoles Familiales (EFA), sont des fermes dont les superficies sont comprises entre 1 à 3 hectares (ha), généralement conduites par les chefs de ménage qui utilisent essentiellement de la main d’œuvre familiale, peu d’intrants améliorés et peu de système d’irrigation.
Les produits issus de ces EFA sont d’une part autoconsommés et d’autre part, vendus sur les marchés nationaux et sous-régionaux. Selon le gouvernement (SND-30, 2020), ces Exploitants familiaux agricoles représentent plus des trois-quarts des producteurs agricoles.
Cette grande atomicité génère un double effet de dispersion et de dilution sur les politiques publiques auxquelles les autorités publiques (instances politiques et organisations administratives) assujettissent ces exploitants dans l’optique d’en relever la productivité et la production.
D’où l’intérêt de les regrouper en organisations de producteurs, de structurer ces organisations en coopératives (simplifiées ou avec conseil d’administration) ou fédérations de coopératives et d’en garantir le fonctionnement, pour optimiser les résultats intermédiaires et les impacts socio-économiques desdites politiques publiques.
En 2020, selon le gouvernement (Stratégie de Développement du Secteur Rural, SDSR, 2020), sur les deux millions de ménages agricoles que comptait alors le pays (2,7 millions environ aujourd’hui) seuls 20%, soit le cinquième, étaient organisés en groupe (GIC, Coopératives, unions, fédérations et confédérations de GIC).
A l’heure de l’évaluation de la première phase (2015-2018) de la Stratégie de Développement du Secteur rural (SDSR), le gouvernement avait reconnu que la faiblesse du taux d’encadrement des producteurs faisait partie des causes directes des résultats insatisfaisants obtenus à l’issue de cette phase.
Morbidité persistante
Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD, 2019), «la morbidité persistante» du secteur agricole camerounais s’explique aussi par «les tailles d’exploitation dont l’étroitesse favorise plutôt une agriculture de subsistance, car elle élève artificiellement les coûts de l’assistance technique publique aux petits exploitants, du fait de leur nombre trop élevé et des coûts de transport et de transactions élevés en milieu rural». «En fait, poursuit l’agence onusienne, ces coûts élevés rendent difficile l’accès des techniciens agricoles aux petits exploitants isolés, en plus de rendre inefficace le fonctionnement des coopératives locales».
Dans le cadre de la deuxième phase de la SDSR lancée en 2020, les autorités publiques se sont donc engagées à œuvrer à «la promotion de la mise en place, dans les principaux bassins de production, de Sociétés Coopératives afin de faciliter l’accès des producteurs aux intrants, d’améliorer la productivité agricole et le cadre de vie des producteurs».
«S’agissant en particulier des petits producteurs, l’instrument principal du gouvernement sera la création de Sociétés Coopératives de Développement, dans toutes les communes du pays. À cet effet, les conseils municipaux sont appelés à être des partenaires privilégiés», précisait alors le gouvernement dans ce document de planification sectorielle.
Ces Sociétés Coopératives de Développement (SCD) facilitent par exemple l’accès des EFA aux intrants de qualité et aux petits équipements agricoles, de même qu’elles servent de relai pour la vulgarisation des techniques agricoles plus productives et plus respectueuses de l’environnement.
Elles permettent en outre d’organiser la commercialisation groupée des productions garantissant ainsi de meilleurs prix-producteurs, en évitant notamment les ventes bord champs. Ces ventes groupées constituent d’ailleurs l’un des ressorts de la hausse des prix payés aux cacaoculteurs camerounais au cours des dernières campagnes commerciales.
Grâce à ces SCD, les petits exploitants agricoles peuvent en outre bénéficier, en mutualisant leurs risques, d’un accès privilégié au crédit (quel que soient les mécanismes de financement rural développé) et de l’assurance agricoles, gages d’une plus grande inclusion financière et de leur protection sociale.
Enfin, ces SCD facilitent le développement des chaînes de valeur et des pôles économiques en autorisant l’implantation d’unités de première transformation des produits agricoles près des lieux de production agricole.
Une pauvreté essentiellement rurale
Les enjeux sont donc importants pour la ruralité et pour l’économie nationale. Il s’agit, entre autres, d’accroître la productivité et la production des Exploitants Familiaux Agricoles ; de garantir leur inclusion économique et de réduire ainsi la pauvreté monétaire qui reste largement un phénomène rural : son incidence y est de 56,3%, alors qu’elle est de 21,6% en milieu urbain selon la cinquième enquête camerounaise auprès des ménages (ECAM5, 2021-2022) publiée par l’Institut national de la Statistique en janvier 2024. Selon la même enquête, et les calculs de votre magazine, sept pauvres sur dix au Cameroun vivent en zone rurale. En 2014 (ECAM4, 2014), 9 pauvres sur 10 y vivaient.
Constituer les producteurs agricoles en Sociétés Coopérative de Développement (SCD) ou en tout autre groupe organisé constitue donc, ainsi que le reconnaît le gouvernement lui-même, la composante majeure et initiale de toute politique publique pertinente en faveur du monde rural et des ruraux.
A nos confrères de Jeune Afrique, le Président de Flour Mills of Nigeria, John Coumantaros assurait en mai 2024 que ces coopératives agricoles sont «les meilleurs véhicules de regroupement des petits exploitants».
Or, cinq ans après le lancement des politiques publiques nationale (SDN30, 2020) et sectorielle (SDSR, 2020) de développement de deuxième génération, profilées autour des mesures correctives de leurs devancières, la situation sur le terrain n’a que marginalement varié. Et même les politiques «Push» mises en place et en œuvre pour impulser et muscler l’action publique en faveur de la productivité agricole telles que le Plan intégré d’import-substitution agropastoral et halieutique (PIISAH 2024-2026), n’ont pas permis de modifier substantiellement la situation.
«Au plan national, nous n’avons, hélas, pas dépassé les 35% de taux d’encadrement des producteurs, toutes filières confondues», reconnaît un ingénieur agronome, cadre du ministère en charge du Développement rural. «Evidemment, les producteurs de certaines filières, notamment dans l’agriculture industrielle et d’exportation, font l’objet d’un encadrement plus important et même optimal. Mais il en va autrement pour les filières de l’agriculture vivrière» poursuit-il.
Cadre institutionnel robuste avec les CTD
Si l’inscription de l’organisation des petits exploitants agricoles au cœur des réformes traduit bien la bonne information, la clarté de la vision et la pertinence de la stratégie des autorités politiques, celles-ci se montrent moins résolues et moins fermes dans leurs tâches suivantes.
Ainsi est-il de l’allocation des ressources conséquentes à la mise en œuvre de cette option, mais aussi et surtout de leur capacité à faire exécuter cette décision politique par les administrations publiques centrales, et à mobiliser optimalement les exécutifs et les administrations communaux et régionaux, établis comme partenaires majeurs de la mise en place des Sociétés Coopératives de Développement.
«Au niveau de notre administration, on peut déplorer, au minimum, un manque d’intérêt pour cette tâche», explique la source de «Enjeux économiques» précédemment citée. «Il est par exemple plus gratifiant et plus intéressant pour nos responsables, en raison des importantes ressources financières qui y sont affectées et qu’ils gèrent, de s’investir dans l’achat et la distribution des intrants (engrais, semences améliorés, etc) ou l’octroi des subventions à ceux des regroupements des petits producteurs déjà constitués, que de travailler à constituer de nouveaux», poursuit ce cadre.
«Comme vous le savez, un grand travail a déjà été fait au plan juridique. Nous disposons aujourd’hui d’abondants textes législatifs et réglementaires en lien avec les sociétés coopératives de développement. Mais il me semble nécessaire, pour accélérer la cadence dans ce dossier aujourd’hui, de mettre en place un cadre institutionnel spécifique et robuste avec les Collectivités territoriales décentralisées (CTD). Parce que tant que nos agriculteurs ne seront pas optimalement encadrés partout sur toute l’étendue du territoire national, et ce dans toutes les filières agropastorales et halieutiques, c’est l’ensemble de notre politique agricole qui sera toujours hypothéquée» assure l’ingénieur agronome.