Secteur informel: à l’origine, étaient les PAS du FMI
Au Cameroun, comme ailleurs en Afrique, l’informalisation des économies s’est massifiée dans le tournant des années 80 et 90, avec les programmes d’ajustement structurels développés par les institutions de Bretton Woods dans ces pays. Mais depuis, l’engagement de l’Etat à reprendre le contrôle du mammouth reste questionnable. Au moins.
Au Cameroun, le secteur informel est devenu, au fil des ans, un véritable monstre qui piège sept personnes en situation d’emploi sur dix (soit 7,5 millions de personnes) dans la précarité, prive l’Etat d’importantes ressources fiscales, mais surtout, bloque la transformation structurelle du pays. Mais l’on doit à la vérité de reconnaître que dans ce domaine, le Cameroun suit un peu la tendance régionale.
Au sortir des indépendances (globalement la période 1960-1980), l’embryon d’Etat a investi massivement dans la fourniture des biens et services publics, mais également, par volontarisme, dans la fourniture de certains biens marchands, notamment à travers une industrialisation menée à pas forcés. Sauf que si ces pays disposaient bien de dotations factorielles (ressources naturelles, main d’œuvre, terres, etc) dans ces secteurs, ce capitalisme d’Etat ne s’est pas nécessairement fait dans des domaines où les pays disposaient d’avantages comparatifs, en raison notamment de capacités largement insuffisantes (capital naturel, capital humain, capitaux financiers, capital physique, etc). Ceci, compte non tenu des soucis de gestion des entreprises publiques qui ne vont pas tarder à se faire jour. Pour le maintenir à flot, l’Etat a donc dû mettre son périmètre productif sous perfusion permanente. L’endettement massif qui en a résulté a été si déstabilisateur pour les comptes publics que très vite, l’Etat s’est retrouvé à faire appel aux institutions de Bretton Woods, et notamment, au Fonds Monétaire international (FMI) et à la Banque Mondiale.
A travers ses célèbres Programmes d’ajustements structurels (le Cameroun signe son premier Programme avec le FMI en septembre 1988), et sous le prétexte bien trouvé d’aider l’Etat à rétablir ses comptes macro-économiques, le FMI va appliquer en Afrique, indistinctement, la même recette importée: fin de l’Etat social ; libéralisme économique. L’Etat est ainsi contraint de brader ses actifs productifs au secteur privé, qui n’a que le profit financier comme horizon indépassable. Licenciements massifs, troubles socio-politiques, la fin des années 80 et les années 90 seront le théâtre d’un casse social dont les effets continuent de se faire ressentir aujourd’hui encore. Par nécessité, la main d’œuvre, jadis installée dans le secondaire, a pris le mauvais chemin : celui du primaire, mais surtout, celui de l’informel. Dès lors, ce dernier a pris les proportions monstrueuses que l’on observe aujourd’hui.
Post-ajustement
Depuis le début de la période post-ajustement (fin des années 2000 à nos jours), à la faveur de réformes rendues possibles par le desserrement de la contrainte de la dette publique sur les Etats, les moyens de production et la main d’œuvre ont repris le bon chemin, signant ainsi l’enclenchement d’une transformation structurelle positive (schématiquement, il s’agit du passage des moyens de production et de la main d’œuvre du secteur primaire aux secteurs secondaire et tertiaire plus productifs).
Au Cameroun, le gouvernement s’était engagé, dans le cadre de la Stratégie nationale de Développement (SND 30) qui sert de cadre de l’action gouvernementale entre 2020 et 2030, à réduire la taille de ce secteur à la fois dans l’économie et dans l’emploi, et d’en améliorer la contribution aux revenus publics. Promotion de l’emploi dans les projets d’investissement public; amélioration de la productivité, de l’emploi et des revenus en milieu rural ; promotion de la migration de l’informel vers le formel; incitation à la création et à la préservation des emplois dans les grandes entreprises du secteur privé formel; etc, ses axes d’attaques ont été clairement définis dans la SND 30. Ce qui l’est moins, c’est la lisibilité dans la mise en œuvre.
Les résultats de la 3ème enquête sur l’emploi et le secteur informel réalisée en 2022 et rendue publique fin octobre 2023 par l’Institut national de la Statistique (INS) montrent que, trois ans plus tard, les résultats restent largement en retrait des attentes. En particulier, le gouvernement s’était engagé, s’agissant des incitations à sortir de l’informel, à «supprimer de manière extensive et sans concession, toute exigence d’agrément et des frais y afférents à l’entrée d’une profession, sauf les cas dûment prévus par la loi», et à «soumettre au Parlement un projet de loi énumérant de manière limitative les professions dont l’exercice est soumis à un agrément préalable notamment celles relevant des domaines de la santé, de l’éducation, de la défense nationale et de la sécurité des biens et des personnes, de la collecte de l’épargne du public et la distribution du crédit». La loi est toujours attendue, de même que l’extension des suppressions «sans concession» des exigences d’agréments.
Sur le plan de la fiscalité, quelques pas ont été faits au cours des dernières années. «Outre les mesures mises en place ces dernières années pour relever ce défi (la sous-fiscalisation du secteur informel, ndlr) comme la généralisation des retenues à la source des impôts et taxes et rationalisation de la déductibilité de certaines charges, l’accent a été mis sur l’institution du Partenaire fiscal intégré qui permet d’élargir l’assiette et de réduire la taille du secteur informel, en facilitant la fiscalisation du plus grand nombre des opérateurs de ce secteur et l’amélioration du rendement de la TVA (sortie des régimes refuges, reclassement et fidélisation)» écrit en effet le gouvernement dans son Document de programmation économique et budgétaire pour la période 2024-2026. Mais le mouvement reste assez veule pour faire bouger le mammouth.