Secteur informel : ce monstre flamboyant qui redonne si peu à l’économie et à l’Etat
Le secteur informel, qui peut être provisoirement accepté comme la partie de l’économie qui est réalisée sans que l’activité fasse l’objet d’un regard ou d’une régulation de l’Etat, présente, au Cameroun, le visage d’un monstre accumulateur.
En 2020, le taux d’informalité, c’est-à-dire la taille du secteur informel dans l’économie, était évalué par le gouvernement à 88,6%. En léger recul par rapport à 2010, où cet indicateur était évalué par le même gouvernement à 89,1%. Pour rappel, en 2001 il était de 82,1%. Il est monté à 88,8% en 2005, a continué de croître à 89,8% en 2007, avant une première inflexion, on l’a vu, à 89,1% en 2010. La 3ème enquête sur l’emploi et le secteur informel réalisée en 2022 et rendue publique fin octobre 2023 par l’Institut national de la Statistique (INS) n’ayant curieusement pas mesuré sa performance récente, l’on est contraint de se contenter de ces statistiques officielles. Mais compte tenu des pesanteurs structurelles de l’économie camerounaise, l’on peut raisonnablement estimer qu’il n’a pas beaucoup varié, et en tous les cas qu’il ne s’est pas beaucoup éloigné de 87,8%, sa moyenne pour la période sous revue.
La monstruosité du secteur informel au Camerounais se lit aussi à la proportion d’actifs qu’il emploie. Selon l’enquête suscitée, ce secteur emploie 86,6% des personnes en activité dans le pays. Contre 7,1% pour l’administration publique, 5,1% pour le secteur privé formel, et 1,2% pour les entreprises publiques et les organisations internationales. Selon les calculs de «Enjeux Economiques», ce sont ainsi 7,5 millions de personnes sur les 8,6 millions de personnes que l’économie camerounaise dans son ensemble emploie, qui y travaillent. Soit près de sept personnes en emploi sur dix. En 2020, elles étaient, selon les données du gouvernement, neuf sur dix à y être employées. Recul certes, mais léger recul.
Gigantisme et nanisme
Gigantisme dans la taille, nanisme, on va le voir, dans la contribution au progrès national. Au plan de la richesse nationale, le gouvernement estime, dans son Document de programmation économique et budgétaire pour la période 2024-2026, que ce secteur ne contribue qu’à 30% au Produit Intérieur Brut (PIB). En comparaison, avec un espace économique d’environ 12%, le secteur formel apporte au pays 70% de son PIB. C’est dire la différence de productivité…
Au plan fiscal, le gouvernement estime, dans le document de programmation cité, que le secteur informel apporte à l’Etat une contribution fiscale de moins de 5%. Déjà marginale, cette estimation de la contribution du secteur informel aux ressources fiscales de l’Etat est sans doute éloignée de la réalité. Selon l’enquête de l’INS, les Unités de production informelle (UPI, qui composent le secteur informel) payent 5,5 milliards Fcfa d’impôt chaque mois, soit 66 milliards Fcfa par an. Or le gouvernement évalue à 4394,40 milliards Fcfa, le montant total des recettes fiscales internes non pétrolières collectées en 2022. Ce qui veut dire, tous calculs faits, que le secteur informel a contribué, en 2022, à 1,5% des recettes fiscales internes non pétrolières de l’Etat. Même en prenant pour base de calcul les 2285,9 milliards Fcfa que le gouvernement dit avoir perçu en 2022 au titre des recettes d’impôts et de taxes collectés par la Direction générale des Impôts (DGI), la contribution du secteur informel à la mobilisation de ces ressources ne serait que de 2,88%.
D’autres parts, toujours selon la même enquête de l’INS, l’investissement annuel réalisé par ce secteur est de 54 milliards de FCFA. En 2021, selon le gouvernement, le secteur formel (privé et public, avec on l’a vu, 12% d’espace économique et 13,4% de taux d’emploi), a contribué à hauteur de 18,8% de la formation brute de capital fixe (FBCF), soit 4 726,5 milliards Fcfa. La contribution du secteur informel ne représente donc que 1,14% de ce montant.