Recettes des visas des contrats des travailleurs étrangers : les milieux d’affaires européens font pression sur le gouvernement
Ces dernières semaines, c’est au sommet de l’appareil d’Etat que les milieux d’affaires européens ont décidé de frapper pour obtenir, dans le cadre de la loi de Finances de la République du Cameroun pour l’année 2024, le démantèlement, ou, à tout le moins, un allègement du mécanisme de prélèvement des frais de visa de travail apposé sur les contrats des travailleurs de nationalité étrangère. Pour comprendre ce dossier, mieux vaut revenir sur la loi de Finances en vigueur.
«II est institué un prélèvement au titre des frais de visa de travail apposé sur les contrats des travailleurs de nationalité étrangère. Y sont assujettis, toutes les personnes physiques de nationalité étrangère qui sollicitent un contrat de travail sur le territoire camerounais, sous réserve des conventions internationales» écrit la loi de Finances de la République du Cameroun en l’article 22ème de son chapitre 3ème traitant des dispositions relatives aux «autres ressources» du budget de l’Etat. Qui poursuit : «Le prélèvement sus visé est fixé à l’équivalent de deux (02) mois de salaire et traitement brut pour les travailleurs non africains; [à] l’équivalent d’un (01) mois de salaire et traitement brut pour les travailleurs africains, avec abattement de 50%». 60 mille travailleurs étrangers sont ciblés. Et, pour 2023, les recettes budgétaires attendues au titre de ces prélèvements se montent, après estimations du ministère des Finances, à 14 milliards Fcfa.
Menaces d’expulsion des travailleurs irréguliers
La loi de Finances promulguée, le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop) entreprend de la mettre en application. Des mois de sensibilisation n’emportent pas l’adhésion des entreprises et travailleurs assujettis. Mai 2023 : des responsables du Minefop n’excluent plus, publiquement, des expulsions des travailleurs étrangers en situation irrégulière. Sans plus de succès. Le 12 septembre 2023, 3,4 milliards Fcfa ont été collectés auprès de 1000 travailleurs étrangers. Les 59 mille autres font de la résistance. Le Premier ministre, chef du gouvernement, instruit alors le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, de réunir l’ensemble des parties prenantes, pour accélérer la collecte des recettes. Le 9 novembre 2023, Issa Tchiroma Bakari n’a qu’une phrase à la bouche : «Il faut payer !», martèle-t-il, intransigeant.
Les entreprises européennes, qui disaient compter 34 mille employés dont 0,5% d’étrangers soit 170 travailleurs non-camerounais en 2021 (ces chiffres ont, depuis lors, sans doute crû), ne s’y résolvent pas. C’est au-dessus du ministre Tchiroma qu’elles vont désormais porter leur lobbying.
Mardi, 14 novembre 2023. Le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, reçoit, en visite privée, et à leur demande, des dirigeants des organisations patronales des entreprises européennes opérant au Cameroun. La délégation est composée, entre autres, du président de la Chambre de commerce européenne au Cameroun (Eurocham), Yanis Arnopoulos, du président du Cercle d’affaires français du Cameroun (Cafcam), Denis Zapulla, de la présidente de Les Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Tatyana Eldin et de la Vice-présidente de CCEF, Mareme Mbaye. Pour donner plus de poids à la démarche, le président de l’Eurochambre, qui est en fait à la manœuvre, a pris le soin d’y associer les responsables de la Chambre de commerce britannique au Cameroun, la UK Cameroon Chamber of Commerce (UKCCC).
Parlement camerounais
Au cours de l’audience, ces responsables vont «faire part [au Premier ministre camerounais, ndlr] des effets négatifs de [l’article 22ème de la loi de Finances 2023] constatés et remontés par les membres de [leurs] organisations respectives. (…) ; [lui] faire connaitre [leur] proposition d’ajustement qui consisterait à ramener ce prélèvement à un montant forfaitaire et non susceptible de transaction sur l’assiette. Permettant ainsi de ne pas avoir de méthodes de calcul variées et non transparente, ainsi qu’un montant supportable pour tout type d’entreprise, grande comme petite» explique aujourd’hui l’Eurochambre. Diplomate, Joseph Dion Ngute «s’est montré ouvert à la discussion et à la recherche de solution adaptée» assure la même source.
Depuis, c’est auprès des plus proches collaborateurs du Chef du gouvernement camerounais que le lobbying des patrons européens se poursuit. La loi de Finances de la République du Cameroun pour l’année 2024, qui sera examinée et adoptée au cours de l’actuelle session du Parlement camerounais, permettra de savoir jusqu’à quel point ce lobbying a été efficace pour les milieux d’affaires européens.